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Viande de Martin Harníček : le système cannibale

Publié aux éditions des Monts Métallifères le 5 avril 2024. Traduit du tchèque par Benoit Meunier.

Par Benjamin Fogel, le 06-07-2024
Littérature et BD

Dans un futur indéterminé, au sein d’une ville soumise à un régime autoritaire, où les ressources alimentaires font défaut, et où les matières premières telles que le bois seront bientôt épuisées, la vie s’organise autour des Halles, cœur battant de la cité, et seul endroit où l’on peut se procurer de la viande ; de la viande humaine, prélevée sur les cadavres des trépassés, souvent abattus par la police d’État, chargée de faire régner l’ordre, tout en alimentant les bouchers en chair fraîche. Dans ce texte publié initialement en 1981, l’écrivain tchèque Martin Harníček décrit un futur malaisant, où la société s’autodévore littéralement.

Un futur malaisant, où la société s’autodévore littéralement

Contrairement à la majorité des dystopies, où la population est avilie et maintenue sous contrôle par des lois totalitaires qui ne servent que les puissants, Viande décrit un monde, où les termes de société et de peuple ne font plus sens. Ici, la vie en collectivité a laissé place à un système politique, dans lequel l’homme est volontairement un loup pour l’homme. Un système où, comme en temps de guerres avec les coupons de rationnement, chaque personne qui possède un toit sur la tête se voit remettre des tickets qui lui permettront d’acquérir de la viande – les SDF ne bénéficiant pas de cette allocation –, mais où la survie individuelle est le seul enjeu. Tous les crimes sont punis par une sanction unique : l’abattage. Martin Harníček s’amuse avec cette idée en multipliant les exemples d’infraction, qui se concluent toujours pour l’inculpé par la transformation en viande.

L’autre particularité de Viande est liée à son personnage principal. Nul héros ou antihéros dans ce court roman, juste un homme, anonyme parmi tant d’autres, qui accepte les règles de ce système, et est prêts à tout pour se nourrir. Un salaud parmi tant d’autres.

La critique dépasse le cadre du capitalisme et des totalitarismes

Dans Viande, la cellule familiale n’existe pas, le regroupement de personnes et les discussions sont prohibés, les gens ne possèdent plus de nom pour s’identifier, tant leur individualité n’entre plus en interaction avec celle d’autrui. Manger ou être mangé est devenu le seul mantra. On est proche d’un retour à l’animalité. Il faut imaginer Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre, mais avec au pouvoir des extrémistes ultralibéraux, et un système de caste – au sein des Halles, la viande est répartie sur trois zones, de la plus fraîche réservée aux riches à la plus faisandée destinée aux pauvres –, selon une organisation qui rappelle Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette.

La critique dépasse le cadre du capitalisme et des totalitarismes, pour s’attaquer, au-delà des structures, à la saloperie humaine – avec notamment la caste des tire-aux-flans, profiteurs égoïstes et petites mains collabo de la police d’État. D’un même geste, Viande pourfend la folie des hommes au niveau micro et macro. Gloire aux éditions des Monts Métallifères pour cette publication en France, sous la forme d’un magnifique objet, rouge jusqu’au bout des ongles.