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La Confession de Romane Lafore : interpréter le bien et le mal

Publié le 28 août 2024 aux éditions Flammarion.

Par Benjamin Fogel, le 28-08-2024
Littérature et BD

Fervente catholique dans sa vingtaine, qui a construit sa vie en s’assurant de marcher dans les pas du Seigneur, ses désirs dissous dans la foi et l’engagement au sein de sa communauté, Agnès Lanafoërt, née Plée, a coché toutes les cases nécessaires pour se batir une existence idéale à ses yeux, mais aussi à ceux de ses proches. Mariée avec Hugues, militaire, rencontré au bal du Triomphe des saint-cyriens, elle attend désormais de s’accomplir dans la maternité et d’élever ses enfants en bonne chrétienne. Mais les années filent, et son ventre reste vide, alors qu’elle passe ses journées à « recueillir la parole de femmes que la grossesse touche comme une malédiction ». L’incapacité à enfanter frappe Agnès en plein cœur, elle qui est une militante anti-avortement, entourée d’amies, de sœurs et de cousines, qui donnent la vie. De Bayonne à Montauban, en passant par deux années au Sénégal où Hugues a été affecté, Agnès voit bientôt ses convictions se fissurer, au point de commettre, selon son propre référentiel, l’irréparable, qui la mène à cette longue confession, auquel le titre du roman fait référence. Mais – et c’est ce qui confère sa puissance au livre –, ce n’est pas la vision du monde d’Agnès qui se craquelle, c’est sa disposition à être du bon côté de la morale telle qu’elle la conçoit.

La trajectoire incroyable d’une fille qui glisse vers le mal

Dans La Confession, Romane Lafore raconte cette trajectoire dérangeante d’une fille qui glisse vers le mal, et s’épanouit dans celui-ci, persuadée d’être une mauvaise personne, rongée par la culpabilité, enivrée par son pouvoir, celui de pousser d’autres femmes au pire. Par un jeu d’inversion des valeurs, dont elle n’est pas consciente, Agnès s’avère en réalité être une belle personne, qui, comme par inadvertance, prend en réalité soin des autres.

Un grand roman sur un questionnement philosophique phare

Sur ce postulat merveilleusement développé, La Confession est un grand roman sur le questionnement philosophique qui oppose « faire le mal avec les plus nobles intentions » et « faire le bien animé par de sombres desseins ». Romane Lafore ne relate pas une prise de conscience. Elle ne fait pas de l’émancipation d’Agnès le noyau du récit. C’est un livre sur la jalousie et la colère, comme moteur pour briser les doctrines. Faisant fi de tout manichéisme, la religion et l’église, carcans qui enferment Agnès, joueront un rôle central dans sa libération, faisant de la parole divine, à la fois un remède et un poison, selon l’interprétation qu’on en fait.

Au fond, il est question en filigrane de comment traduire le dogme religieux, quitte à en faire une « belle infidèle », soit une traduction qui préfère trahir le fond pour sublimer la forme. Belle Infidèle est justement le titre du magnifique premier roman de Roman Lafore, qui abordait déjà cette question de l’interprétation, et de la transformation, dans l’optique de privilégier la beauté et la bonté au respect des valeurs originelles. Avec ce deuxième livre, elle poursuit son travail, au cœur de l’intimité d’Agnès, avec un talent inouï. Un indispensable de cette rentrée littéraire.