Tous les silences ne font pas le même bruit de Baptiste Beaulieu : la bonté et la colère
Publié le 3 octobre aux éditions de L'Iconoclaste
Après Où vont les larmes quand elles sèchent, l’année dernière, Baptiste Beaulieu revient avec un texte fondé à nouveau sur le mélange des genres : roman, essai, autobiographie, incursions poétiques, phrases choc et notes de bas de page façon story sur Instagram fusionnent avec une liberté de ton et une sincérité toujours au service du propos. Tous les silences ne font pas le même bruit est un brûlot contre l’homophobie et contre la haine en général, qui détricote la malhonnête intellectuelle et les arguments fallacieux employés par les homophobes. Le livre débute sur ce constat : « C’est que tu serais bien en peine de définir l’homosexualité, et, plus exactement, ton homosexualité. […] L’homosexualité n’existe pas dans ta vie en dehors des moments, nombreux, quotidiens, où l’homophobie, en se manifestant, te ramène à ta condition de dissident de l’ordre sexuel. »
Entrecoupé de phrases clichés où il remplace homosexuel par hétérosexuel – Exemple : « Êtes-vous hétérosexuel à la suite d’une agression sexuelle dans l’enfance ? » – pour en démontrer l’absurdité, Baptiste Beaulieu ne cesse de prouver combien « l’homophobie est un barreau de l’échelle qui mène au totalitarisme ».
Les thèmes et les angles d’attaques sont nombreux – au point de paraître exhaustifs. L’auteur y traite de couple invisibilisation / diabolisation des homosexuels dans la pop culture – avec des personnages gay qui pendant longtemps n’ont existé que comme méchants, pervers, antagonistes –, aussi bien que de la peur ridicule que la représentation des LGBTQ au cinéma pousse les gens à devenir gay, ou encore des similitudes entre les difficultés rencontrées par les gays et les Noirs. Chaque idée débouche sur une nouvelle à un rythme effréné. L’auteur dénonce les thèses complotistes contre les gays, explore les contradictions des discours portés par le patriarcat, s’intéresse à ceux qui infantilisent les femmes et instrumentalise les luttes féministes à des fins idéologiques, notamment à l’encontre d’autres minorités.
Baptiste Beaulieu revient sur des événements personnels déjà évoqués dans son précédent livre, dans des interviews ou des articles. Il tourne autour de ses traumas, les éclaire sous un nouvel angle, les inclus au sein de nouvelles analyses. Il construit ainsi de projet en projet une réflexion puissante sur ses tragédies personnelles, mais aussi sur les récits des personnes qu’il croise dans son existence.
Écrit à la deuxième personne du singulier, le roman s’adresse à la fois à l’auteur – celui qu’il était, celui qu’il est devenu –, aux communautés LGBTQ, et aux lecteurs et lectrices en général, en les projetant dans la peau d’un gay. C’est un « tu » inclusif, au service de la parole, qui accompagne et ne montre jamais du doigt. Un « tu » qui s’accumule pour devenir un « nous ». Cela débouche sur un livre très personnel, qui peut parler à tout le monde, y compris à celle et ceux qui pensent déjà tout savoir de l’homophobie : « […] puisqu’il ne suffit pas d’être homosexuel pour subir l’homophobie, écrit Baptiste Beaulieu, il suffit qu’on suppose que vous l’êtes. C’est à cause de cela que ce texte s’adresse aussi à celles et ceux qui ne s’imagineraient pas concernés. »
Se confrontent dans ce roman une bienveillance sereine, pleine d’attention aux autres, et une colère permanente face aux haines et aux impensés qui blessent. Cette ligne ténue entre douceur et hargne est au cœur de la bibliographie de Baptiste Beaulieu. Comme si la gentillesse canalisait sa colère, mais que sa colère protégeait sa gentillesse de tout angélisme. Il en résulte un livre sur le droit d’être en colère. Sur la nécessité d’être en colère, car sans colère rien ne bouge.
Par son mélange des genres, son ton unique, sa liberté et sa joie, son engagement et sa fierté, Tous les silences ne font pas le même bruit est un texte queer par excellence, et une réussite à tous les niveaux.