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Croire aux mutants de Laura Fredducci : les deux faces de l’invisibilité

Publié le 31 octobre aux éditions Gallimard

Par Benjamin Fogel, le 21-11-2024
Littérature et BD

Après Werner et les catastrophes naturelles (Éditions Anne Carrière, 2018) et la co-scénarisation de la série La Chute de Lapinville sur Arte, Laura Fredducci – ex Playlist Society – revient avec son second roman Croire aux mutants dans la collection Scripto de Gallimard.

Alors que le dérèglement climatique s’aggrave, que les sécheresses et les inondations s’accroissent, Sam, 15 ans, et son grand frère Arthur affrontent les affres de l’adolescence, amplifiées par une mère dépressive et un père absent. Alors que sa relation avec sa meilleure amie Farah se délite, et que les autres élèves moquent son poids, Sam ne peut compter que sur le lien qui l’unit à son frère. Mais Arthur va mal. Il se renferme sur lui-même, ne contrôle plus ses colères et réalise que son esprit impacte la réalité, tel un super pouvoir néfaste. La vie de Sam bascule quand une crise de son frère engendre la mort de Nico, un garçon de l’école. Le frère et la sÅ“ur se retrouvent au ban du monde scolaire. Avant de découvrir que d’autres camarades ont développé des mutations, à la manière des X-Men chez Marvel.

Un récit sur le passage d’une exclusion à une autre

Dans ce monde où la canicule arrive chaque année plus tôt et où le rejet des autres se fait chaque jour plus présent, on devine l’aspiration de la jeunesse à arracher le pansement brutalement. Quand on n’a aucun espoir d’être heureux dans le futur, tout changement est une opportunité potentielle. C’est pour cette raison que Croire aux mutants se devait d’être un roman centré sur les adolescents. « C’est bête, mais la fin du monde tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est presque un fantasme. J’imagine la vie austère et courageuse qu’on pourrait inventer, l’héroïsme quotidien », pense Sam

Pour autant, Croire aux mutants n’est pas un comic sur l’héroïsme et l’usage des super pouvoirs. Mais un récit sur le passage d’une exclusion à une autre. Car Sam ne possède aucun pouvoir. Pour faire partie de ce nouveau clan mutant, de cette nouvelle famille à même de la sortir de l’isolement social, elle va devoir s’en imaginer un. Sam prétend alors pouvoir devenir invisible. Une idée à la fois évidente et excellente, puisqu’il s’agit d’un demi-mensonge : Sam est bel et bien déjà invisible aux yeux de ses camarades de classe. Laura Fredducci illustre les points de rencontre entre l’invisibilité physique et l’invisibilité sociale, la première étant considérée comme une capacité désirable, alors que la seconde est subie et génératrice de souffrance au point d’obliger les personnes à se créer une carapace. Surtout que Sam possède peut-être un véritable pouvoir dont elle n’a pas conscience…

Un équilibre permanent entre roman noir sur le mal-être adolescent, et origin story de super-héro⸱ïnes

Cette ligne de crête entre ces deux formes d’invisibilité décrit parfaitement les enjeux de Croire aux mutants, qui cherche un équilibre permanent entre roman noir sur le mal-être adolescent, et origin story de super-héro⸱ïnes qui pourraient revenir dans un tome 2. Laura Fredducci gagne sur les deux tableaux, touchant aussi bien les ados que les adultes, à l’image de son usage de la musique. D’après Vivien, un des mutants, il y a une musique adaptée pour chaque moment de la vie. Il y a également la bonne musique pour chaque chapitre qui débute avec une chanson, tirée des goûts de l’autrice – on y croise Joy Division, Belle & Sebastian Nick Cave, Nina Simone… –, tandis que dans le texte apparaissent des chansons récentes représentatives des aspirations musicales des personnages – Grimes, Kendrick Lamar, Billie Eilish.

Avec Croire aux mutants, Laura Fredducci pose les bases d’un univers intime et extensible, qui n’a pas encore révélé tous ses mystères. Une belle réussite qui appelle à la fois à une suite et à une adaptation audiovisuelle.