Bien-Être de Nathan Hill : sous le vernis craquelé
Publié le 22 août 2024 aux éditions Gallimard, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nathalie Bru.
À travers l’histoire d’amour – de ses joies à ses failles – entre Jack et Elisabeth, Bien-Être questionne 30 ans d’évolution de la famille américaine chamboulée par les nouvelles technologies, le progressisme, la gentrification et les injonctions au bonheur. Mais plutôt que décrire les effets de ces facteurs sur les personnes, Nathan Hill interroge comment les secondes utilisent les premiers pour remodeler leur réalité, impliquant fake news, complotisme et positionnements sociaux fallacieux. Il en ressort que les phénomènes initialement pointés du doigt ont un impact moindre que les récits que l’on construit autour d’eux. Récits à travers lesquels on se ment à soi-même. Avec comme révélateurs l’expérience artistique – pratiquée par Jack – et la prescription de placebos – sujet de recherche d’Elisabeth –, Nathan Hill explore la puissance de la fiction, non pas en tant qu’œuvre, mais en tant que manifestation psychologique.
La force incroyable du roman tient dans ce postulat : nous présenter une réalité, à laquelle lecteurs et lectrices adhèrent parfaitement, pour ensuite l’analyser, la décortiquer et dévoiler l’escroquerie, la manipulation et le mensonge sur lesquels celle-ci s’est érigée. Au-delà de la succession passionnante de concepts exposés à travers les chapitres, c’est là que se trouve son génie : Bien-Être est le grand roman sur la réalité qui transparaît sous le vernis craquelé de nos existences.
Le titre du livre, qui évoque le développement personnel, constitue dans un premier temps une saillie cynique, faisant échos aux personnages et à leur désir d’accomplissement et de performance. Mais au fur et à mesure de l’avancée de la narration, de la déconstruction psychanalytique mise en œuvre par l’auteur, et des remises en question, à même d’éclairer la vie de nombreux lecteurs et lectrices sous un nouvel angle, on finit par se dire que ce titre est dénué de toute ironie. Que Bien-Être est bel et bien une œuvre de développement personnel, dont on ressort avec une meilleure compréhension de soi-même et des autres, et – phénomène précieux – le sentiment d’aller mieux.
Il en résulte un chef-d’œuvre total, magnifié par sa somme de travail – il suffit de jeter un œil à la bibliographie pour s’en convaincre. Mais aussi un exemple incroyable de comment le roman peut embrasser d’un seul geste l’intime, le social et le politique pour les imbriquer d’une manière inédite, inaccessible aux autres domaines. En démontrant la capacité de nuisance des fictions que l’on se raconte sur nous-mêmes, Nathan Hill nous rappelle, par une virevolte vertigineuse, le pouvoir inouï de la fiction romanesque.