Henua de Marin Ledun : Marcher dans les pas de ses ancêtres pour tracer un nouveau chemin
Publié le 13 février 2025 aux éditions Gallimard
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Nuku Hiva, dans l’archipel des Marquises : le corps de Paiotoka O’Connor, une jeune femme précaire, est retrouvée sans vie dans les terres rouges, une zone montagneuse et inhabitée. Le lieutenant Tepano Morel est dépêché sur place depuis Tahiti. Fils d’une Marquisienne, il a néanmoins grandi à Bordeaux, et c’est la première fois qu’il foule le sol de Nuku Hiva, et la terre de ses ancêtres. Épaulé par Poerava Wong, une flic locale, proche de la victime, il tente de retracer le parcours de Paiotoka O’Connor, ses amitiés et ses inimitiés.
Après deux plongées, terribles et brillantes, dans l’enfer de l’industrie du tabac et de la bière – respectivement Leur âme au diable (2021) et Free Queens (2023) –, avec lesquels il a enclenché une nouvelle phase de sa carrière, Marin Ledun revient avec Henua, un pur roman policier, qui en respecte les codes à la lettre. Pour autant, ce n’est en rien un « polar à l’ancienne ». En plaçant son intrigue à Nuku Hiva, une île de 3000 habitants, avec 8 habitants au km2, Marin Ledun crée un huis clos à ciel ouvert, où tout le monde se connaît, se fréquente, s’aime ou se déchire. Ce microcosme est analysé via des angles politiques, sociologiques, culturels, économiques et écologiques.
Marin Ledun n’oublie rien. À travers ses personnages, il étudie les mécanismes de la pauvreté, dénonce les violences intrafamiliales, s’attache au sentiment de délaissement et d’abandon. Il creuse la question du braconnage, de la drogue et de la prostitution. En provenance de Papeete, Tepano Morel est perçu comme un citadin qui vient observer les citoyens de Nuku Hiva avec le regard de dominant naïf, de celui qui ne connaît pas la culture locale. Né à Bordeaux, habitant à Papeete, mais originaire par sa mère de Nuku Hiva, Tepano Morel est à la fois partout et nulle part, en quête de son identité.
Cette question de l’identité culturelle est au cœur du roman. Marin Ledun a pris soin, par sa documentation, ses expériences et ses lectures, de ne pas écrire sur Les Marquises, sans s’en être parfaitement imprégné. Le respect de la culture d’autrui et la valorisation de celle-ci, le tout animé par un esprit décolonial, confèrent à Henua une aura moderne. « Notre histoire, c’est celle qu’on ne connaît pas mais qu’on ressent, explique un personnage. La puissance de ma génération tient là-dedans. Elle n’idéalise pas nos ancêtres qui étaient des guerriers violents, mais elle a compris que l’arrivée des Européens a éclipsé notre grande histoire. » Les artisans y sont les garants de cultures ancestrales, à même d’accompagner une génération en quête d’émancipation.
Ce souci de l’autre rend Henua magnifique. Le livre s’intéresse ainsi beaucoup plus à la victime qu’à son assassin. Il raconte la puissance de Paiotoka O’Connor. Le crime n’est pas le moteur du récit, mais au contraire celui qui y a mis fin.
Tout au long du roman, Marin Ledun se demande comment respecter la culture de ses aînés et comment marcher dans leur pas, tout en traçant son propre sillon, et en remettant en cause ce qui n’est pas tolérable – la complaisance avec les violences faites aux femmes, le mépris de la nature –, et c’est exactement ce qu’il fait avec ce livre : il invente un moyen de s’inscrire pleinement dans la culture du polar, tout en ayant le regard tourné vers l’avenir.