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Michael Gira, serial gentleman (1ère partie)

A l'occasion de la sortie de The Seer, Playlist Society organise une semaine spéciale Swans.

Par Ulrich, le 05-11-2012
Musique
Cet article fait partie de la série 'Semaine Swans' composée de 5 articles. A l'occasion de la sortie de The Seer, Playlist Society organise une semaine spéciale Swans. Voir le sommaire de la série.

“Le Nazaréen […] sur cette terre, a fondé son Église d’esclaves. Ce sont des hommes et des femmes, créatures de chair, qu’il a abandonnés à cet infernal chantage du châtiment éternel. Que sont nos camps comparés à cela ?”

Volontairement, je vous cacherai le nom de l’âme impie qui a prononcée ces quelques paroles dans son délire final. Mais gardez ce passage en mémoire, il éclairera par la suite le chemin bien sombre qui mène à la lumière noire.

Ecouter et aimer Swans n’a jamais été simple. Au hasard d’une discographie bien remplie, il est difficile pour un novice de trouver tout de suite le disque qui lui parle d’emblée. Michael Gira et sa bande ont toujours su cultiver la distance. Etre admis dans le cercle des auditeurs demande un effort considérable, une foi quasi inébranlable. On entre en Swans comme en religion et croire que tout est acquis une fois admis dans la place est un piège de tous les instants. N’y cherchez pas la voie vers la rédemption ; votre salut ne dépendra pas uniquement des disques mais d’un ensemble compact et homogène. Ici, votre foi se doit de rester vivante et alerte, nul besoin d’aller vous cacher dans une grotte pour prier.

La matière noire que Gira sculpte inlassablement depuis près de trente ans (avec Swans, en solo ou avec Angels of Light) prend, avec The Seer, enfin forme et dans un jeu d’illusion presque parfaite se transforme à nouveau. La discographie du groupe a beau être figée dans le marbre, il n’en reste pas moins que sa matière principale reste vivante et mouvante. Ne pas aller voir le groupe sur scène se révèle rapidement être un non-sens, voire une hérésie. Car nul ne peut considérer aimer ce groupe sans avoir au minimum pleuré, sué et interrogé son âme au plus profond. Ce chemin de croix passe obligatoirement par le live.

Voir Swans en concert prend tout son sens. On n’y va pas pour écouter un groupe égrener les titres de son album, avec la foi du portefeuille accroché en bandoulière. Swans en concert incarne ses albums, les habite, dévoile ses morceaux dans ce qu’ils ont de plus crus et brutaux. Les non-habitués penseront que Swans joue fort, trop fort : ce maelstrom sonore leur donnant un vertige permanent. Ils se trompent néanmoins. Swans ne joue pas fort, mais avec force, leur musique cherche plus à convaincre qu’à imposer. Ils dialoguent avec le public, l’interpellent, le questionnent, le mettent au défi. Viscéralement organique, nous ne pouvons rester insensible à cette musique d’un autre âge ; à un moment donné, nous craquons et l’inévitable arrive, nous communions avec le groupe. De l’expérience sonore à l’expérience sensorielle, il n’y a qu’un pas. Il est impossible pour le quidam de sortir d’un concert de Swans comme si rien ne s’était passé: essoré, épuisé, bouleversé c’est à genoux qu’il sort de là, mais habité par l’étrange sensation de ne pas avoir perdu son temps et de repartir avec de nouvelles convictions, une nouvelle foi.

D’esclaves, nous devenons alors des prophètes. Nous répandons une parole, une note, une conviction quasi-inébranlable que ce groupe-là vit en dehors des lignes et de l’espace-temps. Et cette foi ne peut que s’affirmer et grandir au fil des nouvelles productions du groupe.

Depuis leur retour en 2010, Swans a pris les devants de la scène musicale, non pas en reproduisant le schéma habituel de la création selon les directives de l’Industrie Musicale qui veut qu’un groupe qui revient passe en premier et obligatoirement par la case live, histoire de tester si tout ce petit monde est bien “bankable”. L’enregistrement d’un album n’est même pas imaginable, à cet instant précis. Michael Gira (et d’autres avant lui comme The Wire ou Mission of Burma) a imaginé le processus inverse : réunir la troupe, entrer dans un processus créatif au calme et au secret et lorsque les corps et les âmes swansesques résonnent en choeur, annoncer au monde le retour avec un vrai album et une vraie tournée.

Car le disque est un être vivant aux yeux de Gira : un enfant à peine né à qui il faut tout apprendre, choyer, aider à survivre dans ce monde brutal qui ne fera aucune concession s’il met un genou à terre. Le disque n’est aucunement une fin en soi, mais le début d’une nouvelle aventure, riche en émotions, si tant est que nous, les fidèles, souhaitons emprunter ce nouveau chemin avec le groupe. L’appel dans la forêt est à chaque fois clair et limpide : protéger et nourrir le nouveau né. Dans la sueur, les pleurs, la joie, la peur, le bonheur.

Michael Gira marque ainsi vos âmes, à jamais, de sa musique profondément organique, qui vient du plus profond de la Terre, nourrit avec toutes nos émotions qui ressurgissent en un torrent musical, emportant tout sur son passage, si vous n’avez pas été préparés à écouter et entendre.

Cette histoire a commencé au début des années 80. Swans, dans le sillage de la mouvance No Wave de New York, inscrit sa radicalité sonore dans un concept simple et novateur. Les cygnes de Gira seront des créatures magnifiques à regarder et à écouter, mais au caractère revèche et peu amenant. De fait, dès les premières notes de Filth, leur premier album, le groupe impose un début de son qui revèt à la fois un caractère magnifique et violent. L’arrivée de Norman Westberg, le sculpteur infatigable du son du groupe, la deuxième âme du groupe, fait entrer Swans dans une dimension supérieure, celle qui coupera tous les ponts avec tous les genres pré-définis d’alors. Swans sera un mouvement musical à lui tout seul ou ne le sera pas.

A cette époque, peu de groupes tenteront de franchir le Rubicon. Sonic Youth, à ses débuts, aurait pu être le groupe qui suive Swans en ces terres inconnues. Les deux groupes, liés par une amitié réciproque – Thurston Moore jouant avec Swans et respectivement, Michael Gira offrant des titres à Sonic Youth – auraient pu à eux deux certainement transformer en profondeur l’univers musical de la décennie. Sonic Youth choisira sa propre voie, avec le succès que l’on connait.

Les deux groupes se nourriront mutuellement de l’un et de l’autre, jusqu’en 1986, année où Swans fait rentrer celle qui sera l’âme soeur – son ange noir, diront certains – de Michael Gira, Jarboe. De rêche, la musique du groupe revêt alors des habits plus sombres et si, sur Cop, Gira adoucit le timbre de sa voix et devient plus mélodique, Greed marque un véritable tournant dans leur discographie. Chaque disque sera une étape, une montée en puissance, une colère présente mais de plus en plus domptée, une rage intérieure qui donnera suffisamment de force au groupe pour monter jusqu’au sommet et rompre sur un ultime album au titre évocateur Soundtracks for The Blind.

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