On et off. Le balancement perpétuel, le mouvement interminable qui résume l’aspect le plus mécanique de notre quotidien. Sortir et rentrer, commencer et finir, ouvrir et fermer. En permanence, les deux étapes d’une seule et même posture montées en boucle. Ce mouvement d’une simplicité désarmante qui résume à lui seul toute l’ironie d’un espace que l’on tente de rendre complexe alors qu’il n’est régit que par une seule et même loi. Mais la mécanique d’hier se mute en espace d’expression synthétique faussement multiple, à la richesse encore plus factice. Rien ne change, juste l’aller et le retour sur un seul et unique trajet qui peut prendre mille formes mais qui n’en demeure pas moins le même, juste subtilement différent. Mais l’odeur et l’impression demeurent.
Le trio originaire de Brooklyn Forma n’y est pas allé par quatre chemins pour développer la musique proposée sur son tout nouveau deuxième LP sorti il y a quelques jours : sous couvert d’un décor cosmique minimaliste façon Allemagne des 70’s remis au goût du jour et largement pacifié, une pratique devenue nouvelle religion électronique aujourd’hui, il invoque la mécanique pur et ce balancement incessant pour justifier ses compositions synthétiques hypnotiques. Un contre-maître du XXIème siècle qui taperait sur des tambours du XXIème siècle pour installer la cadence. Le travailleur de l’esprit, l’affairé des oreilles n’aura plus qu’à se lancer, dans le sillon de ce balancement à la beauté toute simple, sans artifices. Dans son essence la plus pure. Pour signifier l’émotion provoquée par la parfaite simplicité d’une forme ou d’une structure; comme un trait net sur une feuille.
En lieu et place du trait, une volée de notes expulsées par ces vieux synthés vintage, lourds et encombrants, qui donnent tout leur sens à la recherche d’espace qu’exprime la musique de Forma. Une recherche qui se fait en live, du moins simulé. Venus des horizons de l’improvisation quasi totale, Mark Dwinell, Sophie Lam et Georges Bennett ont su encadrer leurs envies d’ouverture pour canaliser cette énergie du tout-synthétique. Et paradoxalement, en s’imposant des contraintes, le trio est parvenu à faire émerger de cette définition des termes de la composition un réel sentiment de vie et une respiration comme peu de groupes sont capables de le faire. Sans en avoir l’air. Rien n’est forcé, tout semble débarquer comme déposé très naturellement sur le disque. Une succession de compositions où les mêmes ingrédients sont combinés de différentes façons pour diversifier le rendu final. Certains morceaux sont en réalité les mêmes, travaillés d’une façon différente pour obtenir une émotion nouvelle. Une sorte de mélange de couleurs où le trio laisserait une large place à l’aléatoire en s’obstinant à créer ces carcans synthétiques a priori fixes. Passé au filtre des synthés d’une autre époque, c’est un second paradoxe que le groupe exploite à fond : utiliser des instruments qui singeaient le mieux la musique organique au moment de leur conception, justement parce qu’ils ne sonnent pas comme cela. Tout en sonnant, au final, presque plus organique. Suivez bien mon doigt.
Pas étonnant d’ailleurs que le groupe ait signé sur Spectrum Spools, sous-label de l’autrichien Editions Mego, géré par John Elliott des Emeralds; tant Forma s’inscrit directement dans une veine proche des groupes de référence du genre. Avec les bons et les mauvais côtés de l’approche, forcément. Ce que le trio n’a pas su totalement évacuer du disque. Un paradoxe habilement utilisé le long du disque qui permet d’aboutir à ces morceaux entêtants, poussant parfois à une transe légère. Et ce même si la mécanique, comme bien souvent, pousse en réalité à davantage de flou pour l’auditeur. Qui en oublie parfois ce qu’il se passe sur le disque et se voit happer par “autre chose”, derrière ou autour, et finit par ressentir ce léger sentiment d’être exposé parfois à des morceaux interchangeables ou presque. Jusqu’à en arriver, en dernier lieu, à passer par-dessus la musique elle même. Trop tard.
“Off/On” n’est pas un album étonnant. S’il doit être marquant, c’est essentiellement pour son caractère résolument solide et la finesse de sa conception. Tout est savamment maîtrisé et ne laisse que peu de place à l’à peu près. Jusque dans les moindres détails qui font la vraie différence avec la masse des disques du genre à voir le jour. Ces semblants de mélodie qui nous entraînent au milieu des breakbeats discrets et des arpèges de synthés ou ces éléments qui habillent autant le disque qu’ils ne lui donnent une véritable raison de se dire “vivant”. Mais jamais l’auditeur n’arrivera jusqu’à la surprise et de l’étonnement. Un constat dommageable quand on sait que “Off/On” possède en lui tout ce qu’il faut pour faire le demi-pas manquant et franchir la ligne. Mais le trio ne le fait jamais réellement et reste dans cette zone de confort. D’où il est l’un des exemples du genre en 2012, aucun doute là-dessus. Mais pour les plus curieux, cette zone ne va jamais sans cette impression d’un petit manque.
Probablement la situation la plus frustrante au final. Parce qu’on était en droit d’attendre à ce que le trio accomplisse ce petit demi-pas qui lui permettrait d’accéder à de nouvelles sphères. Ne pas être qu’une simple navette spatiale de tourisme mais se transformer en fusée pour se perdre loin dans des zones inconnues d’où l’auditeur en ressortirait marqué. S’il en ressort. Mais tant pis. Il n’en reste qu’un solide album, une des références de cette année à n’en pas douter. Mais juste l’une des.