LOS SALVAJES : maximonstres
Sortie le 27 mars 2013 - durée : 1h59min
Pas sûr que l’indignation sociale soit le principal cheval de bataille d’Alejandro Fadel, dont les personnages auraient pourtant beaucoup à dire et à raconter sur leur condition de délinquants miséreux. Los Salvajes conte une fuite vers nulle part : celle de cinq jeunes gens fraîchement échappés d’une institution pénitentiaire et lorgnant vers un éden en forme de mirage. Leur détermination, alliée à celle du cinéaste, est le premier uppercut de cette terrible aventure : planifiée, sans pitié, leur évasion fait état de leurs désillusions précoces à l’égard du monde qui les entoure.
Ce qui suit ressemble à un gigantesque cul-de-sac dans laquelle les personnages foncent tête baissée, espérant vibrer jusqu’au terme de leur course tumultueuse. Ils savent leur fin imminente mais ne veulent surtout pas être en état de conscience lorsqu’elle se présentera à eux. D’où un usage abusif de drogues en tous genres afin de s’assurer que leurs œillères soient bien en place. Leur sauvagerie est incontestable, mais jamais suffisante lorsque s’impose à eux l’idée de leur propre mort. Les étendues désertiques qu’ils traversent sont leur Styx, les menant tout droit vers un enfer dont ils n’ont que faire. Fadel filme leur traversée du désert avec un naturalisme hargneux, alternant gros plans sur des visages mornes et phases de communion avec la nature. Le tout forme une sorte de western mystique à la gloire de la complexité de l’être humain, capable de faire preuve de la plus grande sécheresse de cœur puis de la plus infinie compassion.
S’il est difficile de donner un âge à ces héros adolescents, c’est sans doute parce qu’ils errent entre l’enfance et l’âge adulte comme entre deux univers hostiles, l’un tentant de les aspirer contre leur gré tandis que l’autre les repousse. La rage est leur langage, mais les quelques accalmies laissent entrevoir des formes d’expression bien plus profondes. Plus le film s’enfonce dans l’impasse , plus les événements prennent une tournure étrange. À partir de la rencontre des fuyards avec un vieux fauconnier qui tente de leur apporter sagesse et protection, tout semble dérailler de façon aussi imprévisible pour eux que pour le spectateur. Acculées, des bêtes sauvages “normales” entameraient un dernier sursaut fait de colère et de folie. Les héros de Los Salvajes, eux, semblent poussés de façon indéfinissable vers une autre voie, comme si les fauves pouvaient soudain se laisser pousser des ailes afin de tenter une ultime échappée. Le tout est un rien confus, mais surtout diablement impressionnant pour un premier film : refusant de s’arrêter en chemin, Alejandro Fadel mènera les survivants vers un climax aussi lénifiant que haletant, qui nous laisse le temps de regarder la mort droit dans les yeux. Inattendu de la part du scénariste des derniers films de Pablo Trapero, dont les prises de risques étaient toujours réelles mais limitées.
Fadel fait exploser tous les cadres, tenant ses modèles à distance pour éviter tout détour malheureux. La trajectoire accidentée du film est à l’origine de quelques imperfections bien naturelles, mais c’est avant tout par son incroyable liberté qu’il se distingue. Ses héros sont boutonneux, souvent hostiles, peu aidés par un attirail de gangster derrière lequel ils se dissimulent maladroitement ; pourtant, ils finissent par toucher du doigt une forme de beauté absolue, qui tient du divin ou en tout cas du surnaturel. Leur épopée évoque celle du jeune Max de Maurice Sendak, découvrant au pays des Maximonstres que les univers imaginaires sont aussi inconfortables que les autres, donc terriblement décevants. Il abandonnait alors son arrogance au profit d’un désenchantement suintant par tous les pores de sa peau. Traversés par des sentiments similaires, les personnages de Los Salvajes semblent ne plus se fier qu’à une nature préservant — mais pour combien de temps encore ? — leurs dernières parcelles d’innocence.
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