Difficile d’aborder ce nouvel album de Deftones en faisant fi du contexte. Suite à l’accident de Chi et à son coma prolongé qui perdure depuis le 4 novembre 2008, le groupe a été obligé de repousser la sortie de « Eros » son sixième album. Effectivement pas question ici d’abandonner les soldats sur le bas côté. Le groupe et la famille ne font qu’un et une telle attention n’a pas été si longtemps apportée aux fondations pour laisser la baraque s’écrouler au premier coup du destin. Du coup, cas exceptionnel, Le groupe publie son septième album avant son sixième. La temporalité est inversée, les schémas sont rompus et on sent le groupe à la recherche de repères. Après le frontal éponyme et le plus catchy « Saturday NightWrist », le groupe a décidé se replacer sur des rails.
Premier état des lieux après la tempête : la puissance est intacte. Sergio Vega (ex Quicksand) tient la quatre cordes en regardant droit dans les yeux son batteur, et « Prince » offre rage et prévenance. Rage et prévenance, car comme souvent chez le groupe de Sacremento, la multiplicité des contrastes (vocaux comme instrumentaux) supprime tout système de castes. Impossible de savoir s’il faut regarder du côté de l’agression crue ou de la balade ambiante. Ainsi les riffs indus et les miaulements criards n’empêchent en rien « Rocket Skates » d’être particulièrement accessible et accrocheur. Sans être une synthèse de quoi que se soit, sans se positionner comme un bilan, « Diamond Eyes » n’en est pas moins ultra caractéristique du son de Deftones ; « Risk » pourrait même en être l’étendard.
Après toutes ces années, Deftones continue d’évoluer via une confrontation de ses forces internes. Chaque chanson semble naître de l’opposition entre les visions de Chino « Teenager » Moreno (qui défend comme toujours son goût pour les eighties ; Duran Duran et Depeche Mode en tête) et Stephen « Elite » Carpenter dont les envies de consolider encore et encore le mur du son ne semblent jamais défaillir. Tout n’est ici qu’équilibre des forces, avec en toile de fond un groupe qui sait comment tempérer toutes les situations.
Quelques coups de griffes à intervalles réguliers avant de se jeter sur sa proie. « You’ve Seen The Butcher » est une démonstration pour néophyte du jeu à la fois puissant et différenciant de Abe Cunningham. Frank Delgado, homme de l’ombre, dealer d’ambiances au sens propre comme figuré, pose les bases d’un ambiant metal sur « Beauty School ». On pense au Smashing Pumpkins sur « Sextape », et l’on s’étonne que la comparaison n’est pas été plus tôt sur les lèvres tant le quintet possède le même type de positionnement au sein de la musique alternative ; ce tiraillement entre deux mondes.
Bien qu’étonnement compact et évitant avec brio les failles et les égarements, « Diamond Eyes » n’arrive cependant pas à se hisser au niveau de la sainte trinité des débuts, probablement à cause d’une incapacité chronique à surprendre (« 976-EVIL ») et à une absence totale de prise de risque. Peu de titres ici viendront étoffer le panel des sonorités. On se demande quel a été l’axe conducteur de ce nouvel opus. Maintenir le cap, ne pas baisser les bras et redéployer sa parure pour montrer que les coups n’ont pas affecté la bête ? Ou au contraire faire profil bas, attendre le retour de son bassiste et faire de « Diamond Eyes » un interlude évidemment qualitatif mais marquant définitivement une pause dans le son du groupe ?
A défaut de revenir pour régner, Deftones revient pour se battre. De sa tranchée, le soldat manquera sûrement d’objectivité, mais malgré ses lacunes un tel renfort lui paraitra néanmoins décisif. Il y a dans « Diamond Eyes » une émotion du désespoir qui touche car justement elle ne cesse d’en défendre le contraire. Et puis il faut vraiment insister sur le terme compact, sur combien les styles se fondent en un tout unique, combien le hardcore se noie dans le métal et inversement (« Royal » vs « CMND/CTRL »).
Note : 7,5/10
>> A lire également, la critique de Systool sur le Gueusif Online et la critique de Thomas sur Interlignage