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Sub Pop #6 : une filiale de Hardly Art

Par Thierry Chatain, le 22-07-2013
Musique
Cet article fait partie de la série 'Sub Pop' composée de 6 articles. Une série de Playlist Society sur Sub Pop à l'occasion des 25 ans du label. Voir le sommaire de la série.

Je serais bien incapable de dire quel hasard m’a amené à écouter In Camera, l’album d’Arthur & Yu, le premier disque sorti par Hardly Art, en 2007, sans prêter attention plus que cela au fait que ce label débutant était une émanation de Sub Pop. Très vraisemblablement un lien sur un blog qui mentionnait – non sans pertinence – le troisième Velvet et les duos de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra comme références. Un chouette disque au demeurant d’un duo mixte et originaire de Seattle, attachant, et reposant sur un songwriting de qualité. Ce qui allait grosso modo indiquer la route empruntée par Hardly Art – dont le nom est emprunté aux paroles de “No Culture Icons” des Thermals, groupe de Portland alors signé chez Sub Pop.

Mentionner que je suis arrivé à cette première parution via un blog n’est pas anecdotique. Car si Jonathan Poneman, le big boss de Sub Pop, éprouve le désir de lancer ce nouveau label, c’est bien pour s’adapter à l’époque. Les anciens fans de grunge ont passé leur chemin, pour les plus jeunes le nom est en passe de devenir une relique du passé, malgré le succès des Shins, de Postal Service ou d’Iron & Wine. Surtout, le contexte de circulation et d’appréciation de la musique a été bouleversé durant les deux premières décennies du label. Il n’y a plus vraiment d’underground, les blogs ont succédé aux fanzines, les cassettes maison sont remplacées par My Space (Soundcloud et Bandcamp prendront bientôt le relais), et les ventes de CD sont en chute libre. D’où l’idée de monter une structure beaucoup plus légère (deux personnes au départ, puis trois, contre une grosse trentaine chez Sub Pop), plus réactive, et tournée vers les groupes débutants : profits partagés 50/50, l’artiste gardant la propriété du master exploité en licence. Poneman supervise de loin ce petit frère, qui bénéficie du soutien financier et matériel (l’unique bureau est hébergé dans les locaux de Sub Pop) de son aîné, et de son réseau de distribution. L’ironie étant toujours de mise à Seattle, on peut bientôt lire sur le site de la maison mère « une filiale de Hardly Art ».

Tout naturellement, c’est la scène locale qui est écrémée en priorité. Seul problème : on n’est décidément plus en 1986, et il n’y a pas de mouvement marquant et cohérent comme le grunge en train d’éclore, un son dans l’air pour asseoir l’identité musicale du label. Au moins Unnatural Helpers, The Moondoggies ou Talbot Tagora, qu’ils donnent plutôt dans le folk-rock ou l’électricité plus débridée, se montrent-ils dignes du premier slogan de Hardly Art : « des disques de qualité pour des gens de qualité depuis très récemment. »

Sans chercher à multiplier artificiellement les sorties, et tout en gardant les pieds fermement ancrés à Seattle (plus de la moitié du catalogue reste basée dans l’État de Washington), le label va peu à peu étendre son rayon d’action : Washington avec le collectif folk mutant Le Loup (repris en France par le label bordelais Talitres), Boston (Gem Club), New York (Fergus & Geronimo, Black Marble).

Pour ma part, c’est essentiellement via les groupes de la baie de San Francisco que j’ai repris mon flirt – désormais poussé – avec Hardly Art. Non pas ceux de la mouvance psyché-garage de Thee Oh Sees ou The Fresh & Onlys (encore que Tim Cohen, le leader de ces derniers, y héberge son projet parallèle Magic Trick), souvent signés chez Castle Face, le label de John Dwyer, parrain du mouvement. Plutôt les freaks d’en face, à Oakland, où les loyers sont moins chers. À commencer par les très queer Hunx & His Punx, qui passent le son des girls groups des années 60 à la moulinette punk, récemment rejoints par les cousins Shannon & The Clams – dont la fellinienne chanteuse/bassiste n’est autre que le bras droit de Hunx.

Avant même d’avoir atteint l’âge de raison, Hardly Art s’est ainsi affirmé parmi les labels qui comptent, sans faire passer son identité avant celle de ses protégés, au contraire de Sub Pop en son temps ou actuellement des petits malins de Burger Records, sans jouer sur une patte esthétique immédiatement reconnaissable à la façon de Sacred Bones, ou l’allégeance quasi exclusive à un genre, à la Hozac ou Slumberland. Juste par des choix judicieux et parfois imprévisibles qui reflètent la diversité du rock indé américain actuel. S’il manque sans doute une découverte majeure à Hardly Art pour pouvoir se montrer tout à fait digne de son ascendance, Bruce Pavitt, le fondateur de Sub Pop, qui en a vite laissé les clés à Poneman, s’y retrouve : « Pour moi, Hardly Art est un réseau d’amateurs passionnés, et dans leur cas l’idée n’est pas de gagner de l’argent, mais de faire des trucs un peu fous, déclarait-il récemment au Seattle Weekly News. Cela me branche. Je trouve que beaucoup de ce qu’a sorti Sub Pop est très bon, leur capacité à imposer des artistes m’impressionne, et je pense qu’une partie du meilleur du rock et de la pop du XXe siècle figure à leur catalogue. Mais j’ai maintenant un vrai faible pour Hardly Art à cause de leur esprit facétieux. »