Riviera de Mathilde Janin
Riviera, le premier roman de Mathilde Janin, ne nous emmène jamais là où on l’aurait supposé. Trois personnages (un couple et une sœur), trois lieux (Paris, New York et une île mystérieuse) et des allers retours entre enfance, passé et présent s’enchevêtrent pour recomposer le cheminement qui débouchera sur la mort du personnage masculin principal.
On s’imagine d’abord qu’il s’agira d’un roman contemporain français très classique, avec des héros liés au milieu artistique (musiciens et responsable de label – on se rassure en se disant qu’au moins cette fois ils ne sont pas écrivains) où la description des fêtes serait un prétexte pour dénoncer encore la vacuité de notre société actuelle. Mais heureusement les soirées n’y sont qu’un élément de contexte lié à une époque. On croit ensuite que Riviera donnera dans le générationnel, qu’il sera un livre « rock » comme il existe des livres « dramatiques », mais là aussi il ne propose rien d’excentrique ou de rebelle, tandis que les personnages naviguent allègrement entre les clichés. Les références musicales qui d’habitude peuvent couler n’importe quel livre – elles sont toujours soit trop attendues, cherchant une connivence beaucoup trop large, soit pédantes, prétentieuses, incompréhensibles au plus grand nombre et incapables d’éclairer le récit sur quoi que ce soit – sonnent ici correctement : on y cause de Sub Pop et de Touch & Go Records, et on y croise des groupes comme Babes in Toyland et Dead Moon. Ca sent bon la fin des années 80 et ça retranscrit bien les prémices du grunge où tout ce qui pouvait être triste, rageux et en marge était assimilé, en particulier les descendants du punk et les groupes riot girls. C’est assez sérieux pour ne pas être qu’une posture, et assez discret pour ne pas être pesant. Et puis d’autres éléments entrent en jeu : le virus Ebola aurait décimé les Etats-Unis, l’uchronie se dessine et on s’imagine changer de genre, mais là encore ce n’est pas ça, et on finit par se dire que tous les événements de Riviera ne sont que des prétextes pour nous amener vers une histoire aux contours flou, le flou étant justement le thème central du livre.
Riviera prend souvent à contrepied. Ça sent le rock et la quête de l’éphémère, mais toute l’histoire est fondée sur des vérités cachées et sur un passé pesant. Ça donne une impression de tourbillon où toutes les époques se mélangent et pourtant tout y est parfaitement quadrillé. Les chapitres sont courts, ça donne un indice par-ci, une mise en situation par-là, sans que l’on sache vraiment bien si les choses vont finir par se regrouper, et pire s’il y aurait du sens à ce que ce soit le cas. Et tout ça concoure au flou, à une histoire que l’on comprend parfaitement bien, dont les personnages sont parfaitement lisibles, et qui pourtant à la fin laisse une impression vaporeuse, comme si l’on avait passé deux cents pages à essayer d’attraper des nuages.
Cette sensation, elle est d’abord due à l’impression que tout est esquissé et suggéré, et que rien n’est jamais détaillé et sûr. Riviera aurait pu être un très long roman, mais Mathilde Janin en a tiré autre chose, non pas la quintessence (le texte se perd volontairement régulièrement) mais une sorte de collection de souvenirs qui parfois s’enchevêtrent, parfois non. Ensuite, c’est le style qui renforce cette impression. La caméra change tout le temps de position, et le découpage s’inspire (avec plus ou moins de fidélité) de la tracklist d’un album, chaque chapitre se voulant probablement être une chanson. Ce qui s’avère souvent être une très mauvaise idée passe bien ici, mais accentue donc le flou. L’idée c’est que le narrateur / le protagoniste des chansons n’est pas forcément le même tout au long de l’album, et donc l’on passe ici de la première, à la deuxième personne, en passant par la troisième, sans être parfois tout à fait sûr de quel point de vue est racontée l’histoire, et si l’on peut se fier au personnage qui déforme forcément la réalité en fonction de ses propres névroses. Enfin, les caractères finissent par se mélanger, la brune et la blonde, la sœur et l’amante, se confondent et partagent beaucoup plus de traits de caractères que ce à quoi les narrations classiques nous ont habitués.
Si l’objectif de Janin était de laisser à la fin de la lecture un sentiment similaire à celui qui reste à l’écoute d’un disque, le résultat est effectivement assez réussi : on se souvient de Riviera comme de certains albums, ce sont plus les émotions et les sentiments de l’instant qui persistent que la mémoire de l’histoire et du pourquoi du comment des interactions ; il en reste surtout des phrases clefs comme le « Je ne peux être à la fois ce qui te blesse et ce qui te console ». Pour un bouquin sur le déracinement et l’exil, ce n’est pas si mal.
La contraposé de tout cela, c’est que Riviera est aussi un roman qui manque parfois de sens et de points d’ancrage. L’absence de dialogues limite notre compréhension des personnages pour lesquels nous n’arrivons pas toujours à se sentir concernés. L’ensemble reste assez froid, et c’est à la fois la force et la faiblesse de ce premier roman : faiblesse parce qu’on ne sent jamais Janin prendre des risques et s’attaquer à ce qu’il y aurait de plus difficile pour elle, force parce qu’elle évite ainsi pas mal de pièges. Elle cherche à se démarquer, tout en prenant appui sur des styles et environnements connus, et au final il y a quelque-chose de touchant à voir un jeune auteur ainsi hésiter entre ambition et discrétion.
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