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Hantologie #6 : Une ouverture (John Foxx et Public Service Broadcasting)

Par Benjamin Fogel, le 08-10-2013
Musique
Cet article fait partie de la série 'Hantologie' composée de 7 articles. Un essai de Playlist Society sur l'hantologie, courant artistique qui convoque dans le présent les spectres du passé. Voir le sommaire de la série.

John Foxx et l’hantologie

La rentrée 2013 marque une étape importante dans l’histoire de l’hantologie : John Foxx rejoint le label Ghost Box pour y publier un EP où collaborent trois des principales figures de la structure. Julian House et Jim Jupp ne s’en sont jamais caché : non seulement avec Ultravox, mais surtout avec Metamatic son premier album solo sorti en 1980, John Foxx a toujours été l’une de leurs grosses influences, au point qu’on les imagine même faire partie des rares personnes à avoir savouré Metal Beat, le double album sorti en 2007 et composé d’interviews de John Foxx par Steve Malins au sujet de la création de Metamatic.

Metamatic n’était pas un disque hantologique en soi. Il n’était pas habité par le passé et par les souvenirs. Au contraire même, il regardait droit vers l’avenir et cherchait à se positionner suite au départ de son auteur d’Ultravox. Mais pour plein de raison, on comprend bien qu’il ait participé à la définition de l’esthétique de Ghost Box et donc à celle de l’hantologie. No one driving ressemblait déjà à un générique télé à une époque où K 2000 n’existait pas encore, Blurred Girl faisait siffler le fantôme d’une jeune femme évanescente, de par la typologie des sons de claviers utilisés, Tidal Wave  s’exprimait à travers des sons qui venaient d’une autre époque et nous parvenaient comme une lamentation, et He’s a Liquid s’inspirait d’un film d’horreur japonais. C’était un disque sur des voitures sans chauffeur qui traversait des villes mortes ; un disque que j’écoute encore avec plaisir.

De manière plus générale, ce n’est pas compliqué de comprendre ce qui a toujours dû attirer House et Jupp chez John Foxx : on pense à sa capacité à  se réapproprier des sons kitch pour les rendre touchants et à jouer avec une matière populaire pour en faire quelque chose de déviant. Et on se dit que voir John Foxx signer sur leur label doit être une forme

De même que l’affiliation de Ghost Box à John Foxx est connue, celle de John Foxx à l’hantologie n’est pas non plus une surprise. Ce n’est pas un hasard si, après son blackout musical, John Foxx est revenu en 1997 avec la série des Cathedral Oceans, soit une musique ambient, enregistrée dans des bâtiments vides, dans des jardins, dans des cathédrales, et travaillant entre autre à partir de matériel enregistré dès 1983 pour un résultat avec des sons dont on ne sait plus s’il s’agit de voix ou de claviers. Plus récemment, on  se souvient aussi de la sortie en 2009 de My Lost City, un album solo intimiste et quasi instrumental qui se focalisait sur une exploration sonore de la ville perdue, dans une ambiance SF. Là aussi transpirait cet intérêt pour ce qui a disparu et sur ce qu’il en reste (quelques voix qui résonnent dans une église abandonnée ?). Il y a probablement des dizaines d’autres exemples dans la carrière de John Foxx qui confirme cette affiliation. Entre ses albums solo, ceux avec Louis Gordon et ceux avec The Maths, il y a sûrement des dizaines de titres qu’il serait intéressant de citer (et malheureusement, je ne connais pas l’intégralité d’entre eux). Enfin à ce stade, personne ne s’étonne que John Foxx se soit déclaré fan de la musique spectrale de Ghost Box.

On se surprend que le nom de John Foxx n’ait jamais été cité dans la liste des artistes ayant contribué à la création du son hantologique.

Une fois la question posée, on se surprend que le nom de John Foxx n’ait jamais été cité dans la liste des artistes qui ont contribué sans le savoir à la création du son hantologique. Ça paraît pourtant tellement évident maintenant. Dans tous les cas, sa signature chez Ghost Box est lourde de sens. Le label démonte à travers elle son envie de rattacher les wagons et donner la cohésion à l’histoire musicale qu’il continue de créer, au point qu’on aurait bien voir Boards of Canada  leur offrir un album de remix ou de raretés. Mais il affirme aussi – enfin j’interprète peut-être – son envie d’ouvrir ses albums ambient et psychédéliques sur quelque chose de plus consommable, de plus pop.

John Foxx & The Belbury Circle – Empty Avenues

Cette signature se traduit par la sortie de l’EP John Foxx & The Belbury Circle intitulé Empty Avenues. Sur six titres, trois des figures les plus importantes du label vont venir dessiner des instrumentaux plein de mélancolie post deuxième guerre mondiale et culture anglaise des années 70, qui vont soutenir le chant caractéristique de John Foxx. On retrouve ainsi Jim Jupp, le cofondateur du label qui officie sous le nom de Belbury Poly, Jon Brooks de The Advisory Cirlce, et enfin Pye Corner Audio, dont nous avons également parlé précédemment, pour un remix du titre qui donne son nom à l’EP Empty Avenues renommé Empty Avenues and Dark Corners.

Les chansons explorent parfaitement le terrain de jeu de Ghost Box. On y entend les mélodies d’un monde qui n’existe plus, mais qu’on essaye encore de se souvenir, et les chansons parlent du temps passé ensemble, des ombres qui restent dans le salon, des souvenirs d’un été passé. Les souvenirs forment le son de notre vie, un son résiduel, mais ce n’est pas l’expression éculée de la “bande-son de notre vie”. Non c’est la bande-son de quelque chose d’inatteignable. Quelque chose qui est déjà en train de disparaître.

La voix de John Foxx apporte une saveur presque pop. Les fantômes nous veulent du bien.

On se sent en terrain hantologique connu, et pourtant tout est différent. Il y a de la joie, de l’amusement et même du plaisir. La voix de John Foxx apporte une saveur presque pop. Les fantômes nous veulent du bien ; ou du moins on a envie de se laisser happer par eux, de succomber au chant des sirènes. Il est alors difficile de ne pas y voir, un nouveau champ d’exploration pour l’hantologie.

Public Broadcasting Service – Inform – Educate – Entertain

Peut-on alors concevoir l’avènement d’une forme d’hantologie plus mainstream ? Une hantologie dont les groupes n’auraient même pas conscience ? J’ai toujours dans l’idée qu’un courant devient grand public quand des groupes qui sont sensés le représenter y appartiennent sans même se le représenter, sans même se poser la question. C’est justement le cas de Public Broadcasting Service, un groupe au nom “plus hantologique que ça tu meurs”, qui s’inscrit parfaitement dans les codes du mouvement, sans en avoir probablement conscience.

Avec Public Broadcasting Service, l’hantologie semble s’immiscer dans une sphère plus accessible, et se dissoudre dans la pop, le rock et le math rock. C’est comme s’ils essayaient de faire de l’hantologie sans en avoir jamais écouté, en se fondant sur une idée purement théorique. Ils appliquent un principe et créent une musique assez entrainante pleine de passage de programmes d’éducation anglais, d’extraits télévisuels et de samples de spoken-word. On est plus dans le ressenti, dans l’émotion et dans le laisser-aller, on est dans le style avec ses codes et ses principes. Et selon moi, c’est assez significatif de l’orientation que pourrait prendre le mouvement (sans juger de la pertinence même de cette évolution).

Public Broadcasting Service tente d’apprendre les leçons du passé à travers la musique du future.

Public Broadcasting Service tente d’apprendre les leçons du passé à travers la musique du future, et leur premier album s’appelle Inform – Educate – Entertain. Le fantomatique, à force de s’y laisser aller devient presque psychédélique. On laisse tomber les repères, on se laisse happer par les sons d’autrefois.  La barrière entre hantologie et revival s’amenuise, mais les lignes sont encore assez nettes pour que l’affiliation soit implicite comme sur Theme From PSB où les mélodies s’inscrivent dans une temporalité bien révolue, et où l’on pense encore fort à Ghost Box. Les fantômes dansent sur The Now Generation. On se croirait dans une boite abandonnée où un DJ et des squelettes s’animeraient d’un coup. On constate juste que ce passage à une hantologie plus accessible s’accompagne d’une production plus lisse, où l’on essaye de ne garder des voix du passé qu’un message propre et délivré de ses aspérités.

Il y a une liberté nouvelle qui découle de ce rapport différent aux racines, et le groupe peut alors aller où il veut, ne conservant alors de l’hantologie que les discours enregistrés du passé, ressemblant ainsi parfois tout autant à un groupe de post-rock sans chanteur à la From Monument to Masses, comme sur Signal 30. On entend des Here we go again, comme si on était sur un album des Beastie Boys, et on se dit que ouais le train est en marche.

Peu à peu, l’hantologie se développe et marque ceux qui s’acoquinent avec elle. John Foxx a dit de Ghost Box que le label était en train de reconstruire des quartiers entiers oubliés à base de fragments, d’ordures et de poussière, et que lui-même se sentait vivre dans ce genre de monde depuis des années. Personne ne s’étonnera alors d’apprendre qu’il travaille sur un nouvel album solo qui s’intitulera Electricity And Ghosts.