Bill Fay est une anomalie temporelle, un type qui sort deux albums sur la fin des années 60 puis qui disparaît de la circulation. Les avis de recherche se multiplient mais l’homme reste introuvable. Son deuxième album « Time of the Last Persecution » devient une sorte de manifeste annonciateur d’un futur assombri et les suppositions les plus folles commencent à circuler. A-t-il été assassiné par un fan enragé de Bob Dylan ? A-t-on retrouvé sa dépouille derrière un bar malfamé ? A-t-il fuit vers des territoires plus cléments où sa musique serait considérée à sa juste valeur ? Les plus fous prétendaient alors que Bill Fay avait découvert un trou noir et avait fait un bon dans le temps. Oui les plus fous pensaient que Bill Fay reviendrait dans le futur à une époque où le folk-rock intransigeant serait redevenu une denrée rare. Oui Bill Fay reviendrait et il régnerait en maître.
Gloire à ce monde où la parole des illuminés est parole divine. Après 34 ans d’absence, Bill Fay réapparut effectivement en 2004 avec le touchant « From the Bottom of an Old Grandfather Clock ». Sollicité et acclamé par Jim O’Rourke, Wilco et surtout David Tibet (dont le label the Coptic Cat publie aujourd’hui ce « Still Some Light »), l’homme est revenu d’une utopie sixties dont la non résolution avait bien failli le tuer. « Time of the Last Persecution » est d’ailleurs devenue une reprise récurrente au sein des lives de Current 93, une belle prévision du retour de l’apocalypse.
« Still Some Light » se découpe en deux partie : le deuxième CD comporte l’intégralité de la nouvelle œuvre de Bill Fay, une œuvre de 26 titres à fleur de peau qui recèlent de pépites intemporelles, alors que le premier CD « Piano, Guitar, Bass & Drums » compile des enregistrements de 1970 et 1971.
Sur « Piano, Guitar, Bass & Drums », on retrouve des torrents d’électricité où le guitariste Ray Russell torture sa six cordes et trouve sa propre voie (« I will find my own way back ») et des démos qui n’ont pas besoin de production pour faire revivre mille souvenirs (« Laughing man »). Que de grandes chansons qui dormaient injustement au fond de placards en forme de coffres à trésors (« Inside the keeper’s pantry »).
A ce stade là on ne sait déjà même plus qui des deux disques est le plus important. « Still Some Light », le nouvel album à proprement dit, a été enregistré en home studio selon un processus d’écriture mysantropique qui semble aujourd’hui indissociable de la nature de son auteur.
Bill Fay revient littéralement d’un monde où les écorchés vifs se battent tous les jours avec eux même, et le retour à la réalité n’en est que plus poignant (« My eyes open »). Les larmes coulent (« Long way from Tipperary »), et les ballades douces-amères laissent réveur (« Time to wake up now »). On imagine l’air pensif l’homme entrain de composer seul dans une petite chambre des hymnes nationaux internes faisant de lui un incroyable pont entre Bob Dylan, Tim Bucley, Nick Drake et David Ackless.
Après une si longue absence, l’homme a trop de sentiments à évacuer, trop de tension en lui. Les émotions sortent comme elles sortent, parfois sans calcul, parfois sans retenue. Il arrive ainsi inévitablement à Bill Fay de ne plus savoir faire la part entre l’essentiel et le superflu, et ce serait vraiment vous mentir que chacun des 26 titres amène son lot de remise en question sensorielle. Effectivement « War machine » tire sur la corde, « Road of hope » a l’utopie facile, « Jericho Road » se perd dans des labyrinthes elfiques et « City Of Dreams » manque de songwriting.
« Still Some Light » est album complètement corrélé à la réalité humaine de son créateur. A chaque instant, on sent combien Bill Fay a accumulé de choses à dire et combien il a envie de dire tout et tout de suite. Peu importe que certains titres soient à peine finis (« God give them rest »), l’homme préfère brûler toutes ses cartouches dès maintenant, plutôt que de laisser mûrir ses idées. On ne vit que dans l’instantanéité du moment. Tout risque de disparaître demain, et c’est maintenant ou jamais (« I wonder »). Bill Fay y écrit souvent des chansons qui n’ont pas d’autres intentions que de le sauver lui-même (« Solace flies in »).
Au final, et bien qu’il s’agisse indubitablement d’un must-have, « Still Some Light » souffre d’une incompréhension permanente, tant on ne sait pas qui est censé avoir le lead entre le CD1 et le CD2, d’un côté l’éternité de l’autre une nouvelle profession de foi. Qui est le soutien de l’autre ? Qui est le supplément ? Qui est le coeur ? Pour ma part je ne peux m’empêcher de trouver une intensité bien supérieure dans les enregistrements du début des seventies. Oui en comparant des chansons à iso-périmètre comme « Sing us one of your songs May » et « Hello Old Tree » je me sens irrémédiablement plus attiré par le passé.
Note : 7/10