La jeunesse est un couteau à double tranchant : d’un côté il y a toujours l’émerveillement face à la sagesse juvénile, face au talent inné qui nargue de ses grands yeux bleus l’expérience, de l’autre il y a cette méfiance, l’envie de chercher les failles, de se protéger de l’évidence, le besoin de rassurer l’enfant que nous étions à 20 ans et qui n’avait pas l’once de maturité nécessaire pour écrire des chansons apaisantes tout en étant aguichantes (la très sucrée « Jump »).
Kyrie Kristmanson est ainsi un cadeau dont on se méfie : les chansons émeuvent mais sont parfois un brin trop parfaites pour ne pas engendrer le malaise de la lisse perfection. Mais qu’importe, l’innocence juvénile permet de s’affranchir des carcans des adultes et de confronter dans un univers, nullement naïf, pop, jazz et errances folkeuses.
« Origin of Stars » est donc le premier album de Kyrie Kristmanson sur No Format. Si on est content que la jeune ait trouvé maison d’accueil, on se demande si le partenariat à du sens. Non seulement le mélange des styles n’implique pas ici la suppression des formats, mais surtout elle devient corollaire de l’image du label. Il faut dire qu’à titre personnel, bien que j’apprécie le travail et la publication de disques souvent justes et incontestablement honnêtes, je ne suis guère convaincu par le manifeste No Format : « Tout simplement parce que trop fragiles, trop radicales, trop singulières, trop typées, trop élitistes, trop populaires, trop adultes, trop infantiles, trop mûres, trop immatures, trop métissées, trop identitaires, trop mélodiques, trop improvisées, trop modernes, trop intemporelles – toutes les musiques publiées ici n’auraient jamais trouvé leur place dans le paysage musical factice fabriqué de toutes pièces par la logique de formatage des goûts qui régit aujourd’hui la politique de l’industrie du disque ». Alors comme ça Kyrie Kristmanson livrerait une musique capable de choquer le Pascal à tout va et de faire tremble n’importe quel DA de major ? (La vilaine a tout de même fait les premières parties de Emily Loizeau). Fausse idée. On se dit surtout que ce manifeste est prétentieux et empli d’une pseudo-rebellion en provenance directe des années 90. Aujourd’hui les combats sont ailleurs et les barrières ont déjà explosé depuis longtemps. Du coup, on se contentera d’apprécier la contribution du label à la pochette comme toujours ravissante et comme toujours « formatée » sur la même charte graphique.
Kyrie Kristmanson possède cette voix et ce sens du swing qui la place sur la route d’une pop-soul sensuelle et racée (« Song X »). Mais c’est surtout sa capacité à intégrer via sa formation de trompettiste des incursions jazz des plus crédibles, qui convainc de la légitimité qualitative de la demoiselle (« Eruption »). Les titres sont courts mais diaboliquement efficaces et les effets d’enregistrement (l’ambiance bar) aident à vous télétransporter instantanément dans une Amérique imaginaire où la « Bepop » serait reine.
Les harmonies vocales sont souvent surprenantes et sobrement amenées par une production respectueuse qui ne cherche pas à en faire des tonnes (« Who »), et on s’enfonce sur des chemins propres à la nostalgie des ballades dominicales (« Wicked Wind »)
Note : 7/10
>> L’album est en écoute sur MusicMe
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