L’hiver est fourbe et l’homme oublie vite. L’hiver c’est comme la fin d’une histoire d’amour. Sur l’instant, la souffrance est vive et sec, la moindre brise glace le sang, la déprime nous guette et il faut jongler avec des instants de bonheur à usage unique pour réussir à s’en sortir. Puis le jeu des saisons reprend ses droits. Par petites touches, via d’imperceptibles éclosions, la flamme renaît de ses cendres, l’envie retomber amoureux est à nouveau palpable, marcher seul dans des rues abandonnées est à nouveau envisageable.
Il y a chez Seabear cette capacité à se fondre dans le quotidien et à vous soutenir. Les chansons commencent comme d’innocentes ballades pop avant de se laisser irriguer par la festivité des cuivres (« Lion Face Boy »). Cet ami qui n’est jamais intrusif, chaleureux tout en restant discret, est forcément un compagnon de choix. Il combat à vos côté l’isolement et vous pousse à quitter votre cellule de glace pour aller boire des coups avec les autres villageois (« Wooden Teeth »). Il vous emmène courir à tue-tête à travers les grands espaces blancs et vous fait retomber en enfance via d’interminables batailles de boules de neige juvéniles (« Softship »). Vous êtes dans « Max Et les Maximonstres », l’illusion est parfaite !
« We Built A Fire » est un définitivement un disque islandais. Il s’agit d’un kit de survie pour trouver de la chaleur là où il n’en existe que peu. Après une introduction un peu convenue, « Fire Dies Down » sort de son poêle un décrochement mélodico-rythmique qui surprend autant que les étranges épopées d’Arcade Fire, tandis que la douceur énergique de « I´ll Build You A Fire » semble être une allégorie d’un micro-onde bloqué sur la fonction décongélation. A l’écoute des chansons, on se dit si Seabear y arrive pourquoi pas moi ?
Néanmoins malgré cette aide de chaque instant, Seabear reste comme je laissais supposer un bonheur à usage unique. Comprendre vulgairement qu’il ne passera pas l’hiver.
A force de vouloir réchauffer les cœurs, on finit par faire bouillir le sang, le talent de Seabear s’enfuie avec les bulles. Ca dégouline tellement que ça en ressort par les pores (« Warm Blood »). Plus globalement, quand l’instrumentation n’est pas là pour appuyer le chant, la voix de Már Sigfússon n’arrive pas à atteindre ses objectifs émotionnels (« Cold Summer »
). Il y manque une profondeur, une joie ou une tristesse qui nous permettrait de regarder l’avenir différemment. Il faut dire que parfois l’ami a tendance à ne plus croire lui-même dans ses conseils (« Leafmask »).
« We Built A Fire » est un disque pour regarder l’hiver droit dans les yeux. Mais l’homme oublie vite. De la même manière qu’il oublie ses douleurs, il oublie qui l’a aidé à les surmonter. Cet été, alors que nous siroterons des Long Island glâcés au soleil, j’espère que nous aurons un souvenir ému pour ce compagnon de route qui n’aura pas défailli, et que l’année prochaine sa présence nous marquera au point de vouloir l’extirper à tout prêt de son palais blanc.
Note : 6,5/10
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