Mogwai, en quête de rien
Au sujet de l’album Rave Tapes (2014)
Inlassablement les nouveaux albums de Mogwai continuent de générer la même question. Constatant que le son du groupe n’a que peu évolué, chacun essaye d’en analyser les moindres détails afin de donner une coloration à l’ensemble et de définir la direction que le groupe a cette fois empruntée. Y a-t-il plus de guitares ou plus de passages électroniques que la fois précédente ? Quelle place occupe aujourd’hui les voix ? Est-ce un album plus cinématographique ou plus rentre-dedans ? Mais au final, il me semble tout aussi vain de reprocher au groupe d’écrire, peu ou prou, le même genre de chansons, que de chercher une logique à son parcours.
Mogwai est un groupe qui se nourrit de travail et d’opportunités. On dit souvent des groupes qui produisent trop et sortent plusieurs albums par an qu’ils s’essoufflent au point d’échouer à séparer l’essentiel de l’anecdotique. Il est vrai qu’il en va en musique comme en littérature et que dans une industrie qui ploie sous la surproduction, la focalisation sur des chansons fondamentales devrait s’imposer comme une règle. Mais Mogwai puise au contraire sa force dans sa capacité à juxtaposer les idées et les essais, non pas en visant un but précis, comme l’aboutissement d’un son, mais avec le simple objectif de reproduire aussi souvent que possible des moments de climax émotionnels.
Ainsi je ne crois pas que Mogwai conceptualise ses albums et essaye de leur donner une coloration particulière. Je crois même que le groupe ne s’intéresse au final que peu au format, et reste bien plus concerné par la question du live. Les disques de Mogwai – et Rave Tapes le premier – ne racontent pas d’histoires. Le titre des albums, comme ceux des chansons, n’indiquent rien et ne cherchent pas à définir un univers. Au mieux sont-ils des private jokes, au pire découlent-ils du fruit du hasard. Les chansons ne portent un nom que pour une seule et simple raison : faciliter leur identification lors des concerts.
On dit souvent de Mogwai qu’il s’agit d’un groupe cinématographique. Compte-tenu de son travail sur les ambiances et de son rapport avec l’image (cf Zidane: A 21st Century Portrait et Les Revenants), il est effectivement tentant de le catégoriser comme tel. Mais, selon moi, les écossais se sont retrouvés liés à ces projets parce qu’à force d’être désignés comme des faiseurs de bandes originales, ils ont effectivement fini par attirer les regards. Peu importe au fond si ce positionnement ait été souhaité par le quintet ou ait découlé d’un effet de réappropriation du public, l’important est de noter que Mogwai n’est pas du tout un groupe narratif. Il joue purement du côté de l’émotion, jamais de celui de l’histoire, du sens et du concept.
Malgré ce positionnement propice à la répétition, Mogwai ne livre jamais le même disque, et le groupe reste très attentif à ne jamais sombrer dans le copier/coller pur et simple. Il me parait tout autant injuste de lui reprocher d’utiliser toujours les mêmes artifices (les montés en puissance, l’opposition mélodie/rugosité, le dialogue guitare/clavier) que de reprocher à un MC d’utiliser en permanence des boucles sur ces morceaux. Ils ne participent pas à cette quête. Effectivement, sans que l’on ait à s’amuser à distinguer les plus et les moins, chaque album de Mogwai possède sa propre personnalité et produit des sensations différentes impliquant des degrés de noirceur, de violence et d’apaisement changeant. D’ailleurs, c’est bien simple, chacun a son album préféré de Mogwai. Et quand on sait que les premières incursions électroniques remontent à Rock Action, on ne peut pas rattacher ces préférences à de simples questions de procédés. Mogwai n’a jamais produit l’album de la maturité, il n’a jamais trouvé l’équilibre parfait, pour la simple et bonne raison que ses membres n’ont jamais conceptualisé la musique ainsi.
Rave Tapes contient un paquet de très belles chansons, à la fois tristes et magnétiques, minimalistes et entrainantes. Il y a un titre avec du vocoder, un avec du spoken word, un autre avec du chant, mais cela ne donne aucun indice sur la voie qu’empruntera le groupe dans le futur. Car, il n’y pas de « bonnes pistes » à suivre pour lui, puisqu’il ne suit justement aucune piste. Il n’y a pas d’opportunités à saisir pour sortir de sa torpeur, parce qu’il n’est jamais tombé dans celle-ci.
Mogwai offre de beaux albums, à la fois différents et cohérents entre eux, au sein d’une discographie riche, pleine de projets et d’envies. Ce serait peut-être pas mal de s’en contenter.