Holy Strays souffre d’un mal commun mais peu confortable : celui d’avoir été encensé un peu trop tôt, avant d’avoir eu le temps de pleinement expulser ce qu’il avait au fond de lui. Sur la base d’un malentendu, beaucoup ont hésité à reconnaître que ses premiers mouvements n’étaient que quelques tentatives maladroites avant d’entrer dans le vif du sujet. Assis sur leurs certitudes, ils n’ont pas compris que le premier chapitre n’était qu’un échauffement sympathique porté par le talent déjà palpable mais instable du jeune musicien français. A la faveur de partenariats et d’une promotion bien sentis, Holy Strays a déjà pu rallier à sa bannière un large pan d’auditeurs aventureux en quête de nouveaux frissons musicaux. En allant même jusqu’à sur-vendre ce qu’ils avaient réellement alors entre les oreilles. D’autant qu’en coulisses, Holy Strays s’affairait pour enfin donner forme à ce que l’on apercevait par bribes ici et là, en live ou sur disque, sans jamais concrètement pouvoir le saisir à pleines mains.
Son tout nouvel EP “Chasm” sorti chez Something In Construction en octobre dernier dévoile enfin tout ce qu’est vraiment Holy Strays : un musicien plein d’idées qui éclate sans ménagement les clichés et idées reçues, aussi positifs soient-ils ; ce sont les plus vicieux. Sur les 5 morceaux de l’EP, Holy Strays est enfin parvenu à synthétiser clairement ce qui fait l’identité pure de sa musique. Un trait plus net et sans concession que tout ce qu’il avait publié auparavant. On y retrouve cette frénésie électronique moderne portée par des influences world digérées et réutilisées avec pertinence : d’omniprésentes rythmiques, le fondement du disque, tirées d’une cérémonie païenne d’un autre genre, ces voix tout droit sorties d’un rituel qui habillent un ‘Chasm’ d’une beauté hypnotique et troublante, sans jamais tomber dans une démarche statique. L’EP est porté par une dynamique épatante, cherchant à dévoiler une nouvelle facette de son auteur qui tisse un lien plus direct avec une essence à la limite du cosmique par endroits. Une invitation au voyage intérieur dans un club urbain en 2013, l’expérience est singulière et marquante.
La complexité raisonnable de “Chasm” ne trahit pas la qualité des compositions du disque, fait aujourd’hui assez rare en matière de musique électronique où la texture du son l’emporte souvent sur son utilisation basique. Soutenu par l’indéniable talent de Paulie Jan lors de la phase de mixage du disque, Holy Strays est un musicien multi-casquette, en plein apprentissage certes mais qui sait déjà mobiliser ses connaissances et les exploiter au maximum. Que ce soit dans le jazz, les influences ambient / expé hybrides ou la composition classique, le musicien surprend à faire fusionner des univers éloignés afin d’en offrir sa propre interprétation. La recette simple pour faire de la musique aujourd’hui, en somme. Sorte de continuation spirituelle, toutes proportions gardées, du trop mésestimé “Dialects” de Joe Zawinul sorti il y a trois décennies, “Chasm” est le témoignage d’un virage majeur pour Holy Strays, sans esbroufe. A tel point que beaucoup ne l’ont pas vu venir, portés par d’autres hypes qui méritent moins que l’attention que “Chasm” aurait du recevoir à sa sortie.
Il n’est jamais bon d’être encensé pour de mauvaises raisons. Sereinement, Holy Strays balaye ces quelques certitudes mal placées d’un revers de main. Le voila qu’il dévoile à un auditoire français passif moins attentif que pour un “Christabell” bien moins abouti la marque indélébile des projets appelés à peut-être marquer simplement de leur empreinte leur environnement musical direct : transformer un espoir musical en réalité tangible au potentiel de progression difficile à cerner. Sans aucune forme de retenue, oubliez tout ce que vous connaissiez d’Holy Strays et plongez dans le gouffre. Vous vous retrouverez enfin face à ce que vous aviez cru apercevoir par le passé pour enfin mettre un terme à ces illusions. Le meilleur service que vous puissiez vous rendre, en quelque sorte.