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Hofesh Shechter’s Sun : La femme qui tombe

Sun, de Hofesh Shechter. Chorégraphie

Par Laura Fredducci, le 25-02-2014
Arts

Le désordre est total. Les corps suivent chacun leur trajectoire, avec des mouvements grotesques. Un ressort en eux a lâché. Parmi la débauche d’énergie anguleuse qui se déploie sur scène, je mets du temps a discerner un sens. Pas un sens, une harmonie. Pourtant ces particules indépendantes réussissent par moment à bouger ensemble, à devenir sans même y prendre garde un seul même corps qui ressentirait, sans avoir besoin de le regarder, chaque partie de lui-même s’accorder avec les autres dans un mouvement commun.

Je suis venue voir Sun, au Théâtre de la ville, un peu par hasard, un peu par curiosité pour la danse contemporaine, dont je dois me préoccuper tous les 36 du mois. On nous a distribué des boules quies à l’entrée. Au début du spectacle, une voix nous a annoncé que tout ira bien.

Hofesh Shechter Sun

Mais bien sûr ça ne va pas. En surface tout a l’air calme, lumineux. Mais très vite cette pellicule tranquille semble débordée par d’autres forces, une violence qui finit par percer. Des éléments narratifs éclatés sont esquissés sans jamais se rassembler dans un tableau bien clair. On nous jette des bribes mythologiques, des clins d’oeil religieux, des ébauches de blagues. Le ton flotte entre émotion brute et caricature, amour et sarcasme. Dans cette danse sur-émotive, tout semble déformé, démesuré.

Des musiques de toutes sortes nous martèle le crâne. Difficile de se résoudre à se boucher les oreilles, à ne pas faire corps avec ce qui se passe devant et autour de nous. Des hurlements ponctuent les séquences. Les interludes déploie un humour grinçant, presque douteux. Il y a des moments d’extrême retenue, ces petits mouvements des mains, de la tête, qui semblent se briser dans leur élan, à peine esquissés. Mais ils alternent avec des lâcher-prise complètement dingues de corps survoltés, désarticulés, comme le seul moyen de faire face à quelque chose de trop grand pour eux.

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Reste malgré tout une sorte d’obscure célébration. Ce n’est pas l’accablement qui prévaut, mais une étrange catharsis, qui dénoue des émotions plus vite que le temps qu’il faut pour y penser. Pour comprendre ce qu’il se passe dans la salle, entre les danseurs et le public, le corps a une longueur d’avance.

Les images s’effacent déjà. Une fois rentrée chez moi, avec des souvenirs imprécis et des acouphènes, je fouille sur internet, j’essaie de prolonger l’expérience, vidéos, articles, pour tenter d’élucider ce qu’il s’est passé.

C’est là que je l’ai vue. 25e seconde. Dans cette ancienne chorégraphie d’Hofesh Shechter, une femme en rouge concentre en quelques mouvements l’impression que j’ai ressentie pendant 2h. Une façon de se débattre, brute et sans fard: tomber, ramper, se redresser. Je ne peux pas me détacher de cette obstination qui transparaît, même quand le ressort semble brisé. Bien au-delà de la grâce.

Ce texte s’inscrit dans l’appel de textes #dissémination de février 2014, «le corps dans tous ses états».