Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Au confluent des influences, il y a ce rêve de gosse, celui de créer un groupe virtuel de super héros musicaux, avec un chanteur pop, un bassiste métal, un batteur hip hop et un guitariste weird et de les plonger dans des torrents d’univers décalés où se mélangent onirisme, coke et personnages mystérieux. Gorillaz c’est avant tout le One Piece du rock, une entité qui développe un capital sympathie fédérateur et inestimable. Sans adopter un positionnement vindicatif, le groupe aura finalement réussi à toucher toutes les sphères évoquées de son monde. Damon Albarn et Jamie Hewlett ont créé un système inattaquable fait de fun, d’expérimentations et d’ouverture sur le monde. Tout cela est tellement barré qu’on est presque surpris de l’impact du groupe sur la population. Il faut dire qu’avec Dan The Automator et Danger Mouse en chefs d’orchestre, le groupe n’a jamais fait dans l’accessibilité putassière. On ne s’exile pas si loin pour faire à l’identique ce qu’on aurait pu faire chez soi.

Cependant l’isolement dans une nouvelle communauté à des milliers de kilomètres de chez soi peut avoir des répercussions néfastes : pertes des repères, multiplication des private jokes, auto-justification du talent, diminution de la capacité à prendre du recul. L’île est un cocon à double tranchant : la famille est bien là mais on ne sait pas si elle vous veut vraiment du bien.

Pourtant à la surface, la mer est calme et les rayons du soleil chauffent cette plage faîte de conserves répercutant ainsi un peu partout des éclats électroniques. Tout d’abord, au même titre que ses deux prédécesseurs (avec « Clint Eastwood » et « Feel Good Inc. »), « Plastic Beach » est porté par un incroyable single. Impossible de positionner « Stylo » sur l’échelle des productions actuelles tant il s’agit d’un trois voix qui défile comme un hommage tarantinesque au cinéma de genre avec un Bobby Womack en mode Jackie Brown et un Mos Def plus ecstatic que jamais.

La ligne d’intro de « Welcome To The World Of The Plastic Beach » est longuement tenue afin de maintenir l’excitation des premières notes. Comme souvent on ne sait dire si l’ambiance est sombre ou enjouée, probablement un peu des deux, et Snoop Dogg fanfaronne en évoquant volontairement un Welcome To The World Of The Plastic Bitch, le tout entrecoupé de samples post Daft Punk.

Majoritairement hip hop, chaque titre possède néanmoins sa propre île comme si « Plastic Beach » était au fond un patchwork des voyages sur les océans de la bande. Qu’il s’agisse de l’orchestre oriental sur l’harangueur « White Flag », de l’ambiance cartoon du légèrement exaspérant « Superfast Jellyfish », ou du paresseux « Sweepstakes », chaque titre tente de proposer, pour le pire et pour le meilleur, une approche différente.

Gorillaz se veut être un condensé de pop-culture qui réhabilite le passé et dévoile l’avenir. Dans ce sens réussir à intégrer Lou Reed à « Some Kind Of Nature » est un coup de génie, tant le maître semble s’y sentir à l’aise. Pourtant malgré l’aisance, on pouvait légitimement attendre plus d’un tel duo.

Les bling bling électroniques portent comme toujours le chant désenchanté de Damon Albarn (« Rhinestone Eyes »). Il est passionnant de voir combien le leader de Blur joue un rôle de composition optant pour un timbre de voix plus bas, presque las. Malheureusement si l’exercice de style est brillant, le rendu est un peu faiblard émotionnellement parlant. Il faut dire que le chanteur n’est pas tellement aidé par une instrumentation un peu grossièrement nineties.

Le problème, c’est qu’un peu comme sur « Demon Days », le patchwork fini par prendre l’eau. La volonté d’expansion territoriale sur pas moins de 16 titres nécéssite bien trop de sacrifices humains, à commencer par les Clashs qui, dans un dernier élan punk, vous disent fuck et font tout sauf ce que vous attendiez d’eux sur « Plastic Beach » (c’est noble mais c’est con). De même Mark E Smith des brillants The Fall se retrouve gravement blessé après avoir essayé de prêcher sans succès sur un « Glitter Freeze » dont la MPC n’a jamais été mise à jour par un Murdoc peu vigilant (on ne part pas à la guerre sans avoir vérifié ses canons).

Il faut également bien admettre que la majorité des titres qui voient Damon Albarn prendre le lead tournent rapidement en rond (« On Melancholy Hill »). Trop occupé à peaufiner la stratégie et le concept, le général de l’armée en oublie de mener ses troupes à la bataille et de se consacrer aux chansons. « Empire Ants » est d’abord légèrement vain (à peine au niveau d’une face B de Blur) et devient tout bonnement insupportable avec l’arrivée de Little Dragon.

Gorillaz aurait mieux fait d’avancer tel un seul homme et de ne pas disperser ses régiments. Le résultat est ici incertain et l’armistice semble illusoire. Bobby Womack regarde le chant de bataille de loin et prophétise. Il est de loin la conscience et la sagesse de ce décevant « Plastic Beach ».

Note : 4,5/10

>> L’album est en écoute intégrale ici
>> A lire également, les premières impressions de
JS sur Good Karma et de Agnès sur Soul Kitchen