C’est un musicien au nom trompeur. DJ Koze n’est ni un maître des platines, ni un producteur de pantalonnades « dance » au nom grotesque (« die Kotze » signifie vulgairement « la gerbe » en allemand). DJ Koze, de son vrai nom Stefan Kozalla, s’avère en revanche un compositeur de musique électronique inspiré et inventif. Deux adjectifs qui se sont usés pour avoir été employés abusivement, mais qui reprennent tout leur sens lorsqu’ils sont associés aux toiles sonores de Koze.
En 2013, il a publié un album étonnant, Amygdala, sur son propre label Pampa Records. Salué par la critique (de Pitchfork au New York Times) et par le public (les lecteurs du magazine allemand Groove l’ont élu meilleur album de l’année 2013), le dernier long format de DJ Koze synthétise les multiples composantes de sa personnalité et de sa musique.
Dj Koze – Amygdala – Pampa Records
Stefan Kozalla est drôle. Chez lui, la créativité ne porte pas le masque de l’arrogance ou de l’académisme musical. Son humour ne joue pas sur un second degré à la Mike Flower Pops ou des alibis à la Philippe Katerine, mais est empreint d’autodérision et d’absurde. La pochette psychédélique d’Amygdala le retranscrit visuellement. La photo du vinyle le montre juché sur un renne, coiffé d’un casque de ski et vêtu d’un long manteau vert, tandis qu’à l’arrière-plan on distingue une forêt rose et encore plus loin un ciel blanchâtre.
L’univers de DJ Koze est constellé de bizarreries qui sont un peu sa marque de fabrique. Ainsi, les titres de ses morceaux sont facétieux (Track ID Anyone ?), délirants (La Duquesa en hommage à la duchesse d’Albe, aristocrate la plus titrée au monde, incroyablement excentrique et richissime), inattendus (Royal Asscher Cut, l’un des diamants les plus prestigieux au monde) ou surréalistes (Scène de la vie de Rauf Denktasch, en français dans le texte, alors que ce dernier était un homme politique chypriote).
Si presque tout a été écrit au sujet d’Amygdala, il n’en va pas de même pour sa discographie antérieure. En une quinzaine d’années de musique électronique, Stefan Kozalla a traversé les genres et les tempos. Techno, house, downtempo, électronica, musique expérimentale, électro-pop ou ambient ont parsemé son œuvre en ordre dispersé. Sans buzz, sans tube grand public et sans postures, DJ Koze a élaboré un style unique et original. C’est un minimalisme gorgé d’humanité et dépourvu d’austérité. Il se caractérise par une audace dans la production sonore, une tension très forte dans des morceaux pourtant accessibles et l’emploi de la langue allemande dans les titres ou les paroles.
DJ Koze Music is Okay
L’humour, toujours, est omniprésent dans le mix album Music is Okay. Les interludes en allemand ou en portugais (DJ Stefan Kosé) tournent en dérision le statut de stars planétaires dont se parent certains DJ et pas toujours les meilleurs… Le remix downtempo de Big Tilt du groupe allemand Visit Venus fourmille de détails et de trouvailles qui rappellent les talents de producteur de l’Hambourgeois. Pour son projet Adolf Noise, DJ Koze s’aventure sur les terres du collage et de l’expérimentation. C’est le creuset de l’album Wo die Rammelwolle fliegt, à l’écoute duquel on rit avec des écoliers allemands qui chantonnent « Alles klar » et on rêve avec un très beau titre atmosphérique, Bäume strahlen Stress aus, qui se termine a cappella.
DJ Koze – Kosi Comes Around – Kompakt
S’il fallait une preuve de la richesse de la house et la techno minimale, l’album Kosi Comes Around pourrait bien être celle-ci. Il creuse ce sillon, sans jamais lasser. The Geklöppel Continues, dont le nom évoque la suite d’un titre de Wo die rammelwolle fliegt, est une bombe conçue pour les pistes de danse, qui évite les clichés du genre (roulement de tambours, breaks excessifs etc.). Sur ce même terrain de jeu, Stefan Kozalla sait aussi varier les climats. Paru sur le huitième volet de la série Total du label allemand Kompakt, Mariposa est magistral. Ce titre hypnotique et minimaliste est un astre qui s’élève très haut et tournoie autour de nos têtes. Les nappes sont mélancoliques, les battements sont puissants et les cliquetis, vibrionnants. DJ Koze tisse patiemment de longs patchworks de notes, de sons et d’ambiances sans jamais laisser apparaître les coutures et les raccords dans lesquels il les enveloppe.
DJ Koze – Reincarnations (The remix chapter 2001 -2009) – Get Physical
Les relectures abondent dans l’oeuvre de Kosi. Il en a réuni une partie dans un album astucieusement intitulé Reincarnations (The Remix Chapter 2001-2009). Le groupe français Nôze, les citoyennes du monde Chicks on Speed et les américains de Battles passent à la moulinette de Stefan Kozalla, ainsi que l’actrice et chanteuse allemande des années 50 et 60 Hildegard Knef. Le « DJ Koze’s Vocal Variation Remix » du Guinea Pig de Ben Watt, moitié d’Everything but the Girl, vaut le détour. En remixant Minimal de Matias Aguayo, un morceau dans lequel son auteur rejette la monotonie de la techno minimale, il aurait pu se laisser aller à une surenchère contestatrice. Point du tout, Stefan Kozalla le relit à la sauce disco, joyeuse et mélodique.
Entre chacun de ses trois albums, DJ Koze s’est illustré dans de nombreux maxis, sans chercher à coller à l’air du temps. Dans le deux titres Mrs. Bojangels (label Circus Company), l’ambiance du titre éponyme est sombre, mais les samples improbables (aboiements de chiens, chevaux au galop et voix), ponctués par des bribes de violons, donnent une coloration étrange et jamais austère. La face B, Dr Fuck (The Drunken Preacher), est une petite merveille. Une voix d’outre-tombe profère des incantations incompréhensibles sur la house, tandis qu’une basse rebondissante revient en boucle et secoue de vieux sons naïfs de synthé et de cloches de vaches. On croirait entendre la bande-son d’un manoir hanté imaginé par Kosi.
Dans un genre moins expérimental, Rue Burnout est un morceau entêtant, sorti sur Pampa Records. Comme un écrivain sûr de son style doserait ses effets, Koze déploie ses idées sans surproduction ni vanité. Il fait de grandes choses à partir de quelques riens. Ici, c’est un riff de piano désaccordé et un cri humain qui rythment une montée imparable.