Hannibal saison 2 : bas les masques
Dans l’un des derniers épisodes de la saison, Hannibal griffonne – avec talent – un dessin d’Achille pleurant la mort de Patrocle. L’histoire de l’Iliade est connue : Patrocle, ami fusionnel du guerrier grec, enfile d’un commun accord l’armure de ce dernier, et s’en va combattre les Troyens. Sur le champ de bataille, ses adversaires, Hector de Troie en tête, trompés par ses armes, s’imaginent défier le grand Achille. D’abord blessé, Patrocle finit par mourir au combat des mains d’Hector. La mort de son protégé déclenche alors la colère d’Achille, fils de Thétis et Pélée, une colère qui changera le cours de la guerre.
Ce lien maitre/élève, amis fusionnels prêts à réveiller les volcans, caractérise en partie les relations des deux protagonistes principaux de la série Hannibal. D’un côté, le célèbre cannibale, jusqu’ici drapé dans le statut respectable de psychiatre, de l’autre, Will Graham, homme doué de visions mais suspecté de meurtre. A la relation Achille/Patrocle se greffe la détestation admirative du face à face Achille/Hector. Hannibal est Achille, dont le talon serait éventuellement le raffinement excessif, quand Graham s’incarne à la fois en Patrocle et en Hector. Le jeune homme est obsédé par son psychiatre. Durant la première moitié de la saison, il le traque, tout en restant prisonnier dans sa cellule. Puis, quand les événements lui offrent une nouvelle liberté, les deux hommes partagent souvent l’écran. Ils dissertent sur l’état du monde, sur la capacité de l’Homme à détruire et bien d’autres considérations par moment un peu lénifiantes. S’ils n’ont pas de relations sexuelles, ils partagent l’attirance pour la même femme : Graham a toujours convoité Alana, mais c’est Hannibal qui couche avec.
Comme dans la mythologie grecque, les jeux de masques servent d’intrigue principale. Graham est-il à la solde du FBI, prêt à tout pour détruire son ennemi ? Hannibal veut-il faire de Graham le nouveau Hannibal Lecter ? En tout cas, les show-runner distillent cette hypothèse. Will Graham porte le célèbre masque qu’Antony Hopkins avait dans Le Silence des Agneaux. Il s’essaie au cannibalisme, il commet des crimes, il est responsable (pense-t-on, à tort) du meurtre de la journaliste qui finit brulée sur un fauteuil roulant. Autant d’éléments qui dans Dragon Rouge, le livre d’origine, constituaient des attributs du Dr Lecter. Si le dénouement de la saison fait capoter cette théorie – pour le moment en tout cas –, une chose est sûre : Hannibal et Will Graham sont deux versants d’une même représentation de l’Homme psychopathe. Le premier incarne la glace, le second, le feu.
Sur leur chemin, ils croisent Michael Pitt, qu’on croirait tout droit sorti d’Eraserhead, jouant un frère tyrannique qui élève des cochons carnivores. Grâce à ce drôle de personnage, les masques tombent. Excités par l’odeur du sang, les deux faux-amis déploient leurs armes. Les autres ne sont que des dommages collatéraux. C’est quand la série se resserre sur la tension du duo que cette saison 2 devient vraiment prenante. Sous l’impulsion de réalisateurs de talent, Vincenzo Natali (Cube, Splice) et surtout David Slade (30 jours de nuit, Hard Candy, Twilight 3, le moins navrant de la saga), Hannibal se permet des audaces visuelles et sonores plaisantes. Dommage que ses errances policières, ses phrases toutes faites trop récurrentes et même son style si soigné la font parfois pâtir d’un rythme étrange.
Reste que dans un dénouement très stylisé, entre split-screen, ralentis iconiques et musique enveloppante, la série admet une chose : le talon d’Achille d’Hannibal, à savoir son raffinement, n’a pas encore été exploité par ses adversaires. Au contraire, le Docteur se délecte de sa victoire avec une coupe de champagne. Finalement, quoi de plus étonnant pour un cannibale que de se nourrir de son talon ?