Vous n’avez aucun goût particulier pour les mangas et n’avez finalement que peu de connaissances sur le vin ? Vous êtes curieux et toujours prêt à découvrir de nouveaux univers ? Vous aimez cependant le vin et aimeriez d’ailleurs vous y connaitre davantage ? Alors, parfait, vous êtes dans la même situation que moi au moment où j’ai ouvert pour la première fois Les Gouttes de Dieu. Mais si, a contrario, vous êtes fan de mangas et/ou expert œnologue, ne zappez pas cette chronique pour autant car ces quelques lignes peuvent également vous intéresser…
Les Gouttes de Dieu est un manga japonais consacré au vin, et qui plus est, quasi exclusivement au vin français ! A l’heure actuelle, dix tomes sont parus et, compte tenu du degré d’avancement de l’intrigue, on peut légitimement supposer qu’on est très loin de la fin ! Le synopsis du manga est simple : Yutaka Kanzaki, éminent œnologue japonais, vient de décéder. Son fils naturel, Shizuku, qui n’a jamais bu la moindre goutte d’alcool, pense naturellement hériter de la fantastique et onéreuse collection de vins de son père. Mais, à la lecture du testament, celui-ci découvre qu’il a en fait un frère adoptif, Issei Tomine, qui n’est autre que l’une des figures montantes de l’œnologie japonaise. En outre, le testament explique que l’héritage de Yutaka reviendra à celui de ses deux fils qui parviendra à découvrir les douze grands crus sélectionnés et décrits avant sa mort par celui-ci, ainsi qu’à identifier celui qui les sublime tous, l’apôtre ultime qu’il nomme Les Gouttes de Dieu. Shizuku, aidé de son ami Miyabi, se retrouve alors contraint de se plonger dans un monde qu’il ne connait que superficiellement : celui du vin et de l’œnologie.
A première vue, le cocktail peut paraître étonnant et l’on attend a priori pas grand-chose d’un manga sur le vin, peut-être pas « une piquette » mais en tout cas comme un léger goût de bouchon. C’est vrai, depuis quand les Japonais s’y connaissent en vin a-t-on envie de s’écrier, pétris de notre fierté viticole, riches de nos savoir-faire uniques et de nos terroirs mondialement reconnus ? Pourtant, dès le premier contact, dès le premier nez, si cher aux œnologues, Les Gouttes de Dieu fleure bien plus le grand cru que le petit vin de propriété. La couverture, pareille au disque du vin dans un verre, prête à la curiosité et à l’envie d’ouvrir, de déboucher est-on tenté de dire, ce manga. Les premiers dessins, les premières images, semblables à la robe d’un premier cru, incitent à l’optimisme et donnent un premier aperçu engageant. «L’attaque» du premier tome, terme qui désigne également la première impression qui se dégage lorsque l’on goutte un vin, ne fait que confirmer ces excellentes dispositions et on se retrouve peu à peu totalement immergé au royaume des vignes, des cépages et des domaines…Une fois le premier tome fini, il est bien difficile de laisser décanter ce manga unique en son genre, de s’astreindre d’entamer le second cru et on ne peut donc réellement résister à l’envie de se lancer dans la suite de la série : Les Gouttes de Dieu est tout le contraire d’un vin de garde que l’on conserverait précieusement dans sa cave, transformée en bibliothèque pour l’occasion, attendant patiemment son pic de dégustation pour en retirer la quintessence gustativo-littéraire. Les Gouttes de Dieu est à l’image d’un vin jeune mais robuste, tour à tour frais et léger comme un vin de Loire en même temps que capiteux et corsé tel un Vacqueyras ou profond et émouvant comme un château Chasse-Spleen…
Il faut d’ailleurs signaler que Les Gouttes de Dieu est tout autant un manga enivrant et envoutant qu’une véritable encyclopédie sur le monde du vin et de ses producteurs. Toutes les bouteilles mentionnées existent évidemment, et les références données sont si sérieuses que, depuis le succès de la série, il n’est pas rare que les vins évoqués se trouvent en rupture de stock ! Le fil conducteur de l’histoire, cette recherche des 12 apôtres est d’ailleurs souvent un prétexte pour construire autant de petites histoires dans lesquelles le vin joue inévitablement un rôle central et nous permettre ainsi de découvrir des dizaines de bouteilles, parfois très abordables et aux qualités reconnues. Alors certes, il y a parfois un côté un peu répétitif dans ces successions d’histoires et on aimerait de temps en temps que le récit se concentre davantage sur la recherche des 12 apôtres, impatients que nous sommes de découvrir ces 12 chefs-d’œuvre viticoles et surtout de connaître l’identité des fameuses Gouttes de Dieu, de ce vin qui sublimerait tous les autres. Mais le plaisir est partout ailleurs. Le plaisir se trouve dans la découverte de dizaine de vins, rouges ou blancs, Bordeaux ou Bourgogne, premiers crus ou vins plus modestes…Le plaisir se rencontre dans cette plongée au cœur d’un univers passionnant mais exigeant, à suivre les aventures de Shizuku et Miyabi et de ce duel fratricide. Mais surtout, le plaisir n’est jamais aussi intense que lors des descriptions faites des dégustations de chaque vin. Les images des sentiments évoqués et provoqués par celles-ci sont magnifiquement bien rendues, créatives mais précises et il se dégage par instant une vraie poésie, tant textuellement que visuellement. Il faut d’ailleurs rendre hommage à la parfaite harmonie des mots et des images, à l’excellente association de l’auteur et du dessinateur, ce dernier parvenant à superbement restituer les intentions de l’auteur, un peu à la manière d’un bon sommelier à même de sublimer, par ses conseils de mariage entre mets et vin ou par son décantage, le goût d’un vin et de mettre ainsi en valeur, comme il se doit, le travail du vigneron…
Alors, bien évidemment, tout comme les différents millésimes d’un même vin, certains tomes sont inévitablement meilleurs que d’autres, plus longs en bouche… Mais quoiqu’il en soit, il est indéniable que ces Gouttes de Dieu ont tout d’un manga « grand cru classé »…
Plus que jamais avec Les Gouttes de Dieu, la subtile alchimie entre l’ivresse et la littérature se réalise à la perfection. Jamais autant qu’avec ce gouleyant manga l’idée de « s’enlivrer » n’a sonné aussi juste…
Il ne me reste alors qu’à vous souhaiter une bonne dégustation !
Note : 8,5/10