Les tentatives d’opprobre d’un média musical contre un autre média musical m’ont toujours laissé un goût amer dans la bouche. J’éprouve un vrai malaise à voir certains s’évertuer à discréditer les goûts, l’approche, le ton ou les petites manies de tels ou tels autres “concurrents”. La critique musicale n’est pas un champ de bataille économique où l’objectif est de gagner des parts de marché. La jalousie des petits envers les gros tout comme le mépris des gros envers les petits me semble déconnecter des ambitions « culturelles » et de la volonté de partage qui est sensée nous animer. Argumentées ou non argumentées, avec ou sans notes, réfléchies ou impulsives, de quelques lignes ou de trois pages, toutes sortes de critiques peuvent me marquer à un instant T.
Evidemment, je me retrouve mieux dans certains médias que dans d’autres. Les critiques sont parfois comme des auteurs. Il y a des textes qui nous touchent et des orientations qui nous laissent froid. Il arrive évidemment que je trouve certaines critiques d’une profonde vacuité et que je conspue des tons condescendants ou des provocations trop grossières. Mais jamais, il ne me viendrait à l’esprit de venir m’en offusquer ici au sein d’un article. C’est comme quand un groupe dit du mal d’un autre, il y a un côté enfantillage, un côté je définis ma position par rapport à la tienne. « Peu importe ce que je fais, l’important est de souligner que c’est mieux que toi ».
À critiquer celui qui critique afin que les gens qui lisent des critiques puissent mieux orienter leurs lectures de critiques, ne finit-on pas par se mordre la queue ??? A tort ou à raison, j’ai toujours pensé que les gens qui lisaient des critiques de disques n’étaient pas forcément des oisifs pour qui la quête de la sainte pensée musicale était une notion qui avait du sens. Bien heureux que des gens lisent encore des critiques de disques ! N’allons pas en plus leur imposer des chamailleries internes !!! Autant la prospection musicale à du sens, autant le lecteur est assez grand pour décider quel média il souhaite lire.
Alors vous allez me rétorquer que s’en prendre à ceux qui se critiquent entre eux est également une forme de critique, que je suis le premier à dire du mal de magazines comme Rock’n’Folk, que c’est bien un comble ces critiques qui n’aiment pas être critiqués… J’aurais plein de réponses à tout ça, mais est-ce que cela a vraiment une importance ?
Au final, toutes ces discussions autour des critiques m’ennuient. Moi qui adore découper les cheveux en quatre, moi qui peut trouver l’exercice intellectuel stimulant, moi qui ait été également le premier à me sentir concerné par ces considérations, je suis fatigué. La moindre anicroche twittospherique sur le sujet peut m’épuiser. Et pourtant Dieu sait que j’aime le débat.
Débattre, oui ; me battre, non ; je n’en suis plus capable. Je ne veux pas de contraintes, pas de poids, je ne veux pas assumer la moindre responsabilité, je suis fatigué et faible. Et puis j’ai confiance en moi, je ne ressens plus le besoin d’échanger là-dessus, de défendre mes points de vue. Je sais où je vais. Je veux juste parler des disques que j’aime et que je déteste.
Bref, les saintes croisades se passeront dorénavant de moi. Tant mieux pour elle, ai-je envie de dire.
Pourquoi cette longue (et futile) introduction à la critique de cet album de These New Puritans ? Et bien justement parce que, n’ayant pas peur des paradoxes, j’ai eu envie d’écrire sur ce « Hidden » suite à l’incompréhension qu’avait suscité chez moi le texte dithyrambique de JD Beauvallet des Inrockuptibles. Non pas que je pense que cette critique soit un torchon (comme je le disais une telle affirmation me paraîtrait fort inappropriée et d’ailleurs celle-ci me satisfait totalement dans sa forme) mais vraiment dans le sens où elle m’interpelle. Comment peut-on écrire à propos de ce disque : « Mais on n’imaginait pas ces jeunes Anglais capables d’un disque aussi secouant, mutant et déstabilisant que l’immense Hidden. » ? Est-ce que je passe à côté de quelque-chose ? Suis-je formaté pour détester cet album ? Je suis perdu dans les méandres de l’incompréhension. Si comme je le pensais tout le monde s’était accordé sur l’aspect nocif (mais non corrosif) de cet album, sûrement aurais-je oublié d’essayer de dissuader quiquonque de l’écouter. Mais là, je ne souhaite définitivement pas garder toute cette incompréhension pour moi.
Lorsque je lis : « La pop, sans la niaiserie : quand on évoque le fascinant dédale que constitue Hidden, quand on s’emballe, frustré par l’humilité de notre interlocuteur, pour crier au génie, Jack Barnett, tête fûmante du groupe, répond : “C’est juste un album pop.” », je me demande avec qui de JD Beauvallet ou de Jack Barnett, je suis le plus en désaccord. Ce n’est pas parce que le chant se fait sérieux sur « Three Thousand » que ce spoken word et ces instrumentations de cirque en sont moins niaises ! Ce n’est pas parce qu’il y a des mélodies sous cette ribambelle de sonorités mensongères, qu’il ne s’agit que de pop ! D’ailleurs à l’écoute de « We Want War » c’est surtout dans la catégorie comédie musicale qu’on a envie de classer These New Puritans : Ça danse, il y a de la mise en scène, une ombre maléfique prononce des dialogues angoissants tandis que dans l’obscurité un monstre déclame en boucle les mêmes mots. Fermez les yeux, on s’y croirait : Vous êtes à Bercy avec vos enfants ! Pas entrain d’écouter un disque de “pop” !
Ici l’expérimentation (que certains associeront trop vite à du génie) se résume à une simple juxtaposition d’éléments que nous n’avons pas l’habitude d’entendre ensemble, et ce pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont rien à faire dans là même pièce. Les effets jazzy de « Hologram » s’accordent mal avec cette voix forcée, avec cette fausse préciosité, tandis que les rythmiques plus rock échouent à noircir le message mystique de « Orion ».
Du coup, que devient ce “J’ai toujours préféré la pop expérimentale au rock expérimental, plus prétentieux et hautain. La pop parle de manière plus directe.” ? Cela débouche sur des titres aux accents R’n’B “artistiquement recrédibilisés” par des rythmiques tribales et des coeurs apparemment dédiés à l’envoûtement. (« Attack Music »). Quelle brillante idée ! Prenons les éléments de ce qui provoque une réaction épidermique positive immédiate et passons les dans la moulinette Animal Collective afin d’être labellisé ! Que faire d’un disque si démonstratif au point de caler un interlude d’inspiration classique (« Canticle ») ?
Ce qui est dommageable là dedans, c’est qu’une chronique trop élogieuse sur un disque en demi-teinte pousse forcément à chercher les vices cachés, à passer au crible les chansons. Et au lieu de trouver le génie, on finit malheureusement par trouver l’ennui. Néanmoins, la posture « contre » n’implique pas de fustiger « Hidden » sur la place publique. Malgré son incohérence et son manque de retenue perpétuelle, il faut bien lui accorder l’envie d’essayer de faire quelque chose de nouveau, et des mélodies qui remplissent à merveille le cahier des charges en créant dans le salon des Dancefloor Autonomes Temporels (« Fire-Power »). De plus, par moment, les grossières intentions finissent par sincèrement intriguer. Il y a quelque chose de tacitement mystérieux dans « Drum Courts – Where Corals Lie » !
« Mais on n’imaginait pas ces jeunes Anglais capables d’un disque aussi peu cohérant, ayant autant la folie des grandeurs que cet écœurant Hidden ! »
Se moquer de la cohérence de These New Puritans après avoir écrit une critique si décousue et bien moins tenue que celle de mon homologue, possède un aspect ironique qui ne vous aura pas échappé. Mais bon je ne suis plus à une contradiction près.
Et puis merde, arrêtez de perdre du temps à lire des critiques, et allez écouter des disques !