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Selon le cliché désormais attaché au nom de Ty Segall, le Californien est prolifique. Voire boulimique de travail, puisque outre sa carrière solo et avec son groupe, il participe à plein de projets avec sa chouette bande de copains, tous éminents psychédélico-garagistes comme lui. On a tendance à oublier que sortir deux albums par an et tourner le reste du temps était la règle jusque dans les années 1970. Ce qui donnait souvent de bien meilleurs résultats que de passer huit mois en studio à se contempler le nombril en attendant que la muse vous habite.

Ce régime-là a jusqu’ici réussi à Ty Segall. Il n’a jamais sombré dans la production bof-bof à la chaîne et ne nous a pas refilé en douce ses nanards au milieu d’une face B. Pourtant, en découvrant que Manipulator était un double album – objet musical honni de toute personne ayant, comme moi, la capacité à fixer son attention d’un chihuahua cocaïné – j’ai failli annoncer à l’ami Ty que tout était fini entre nous. D’autant que le stakhanoviste des studios avouait qu’il avait planché quatorze mois dessus, ce qui, en échelle de temps Ty Segallienne, équivaut à la durée prise par Guns’N’Roses pour pondre Chinese Democracy.

La première bonne nouvelle, c’est que Manipulator, tout double album qu’il est, dure moins d’une heure. Et surtout, il ressemble à du Ty Segall. Spontané, barré, débordant d’énergie et d’idées, d’incursions dans le psychédélisme qui ne tournent jamais à l’embourbement pendant la cueillette des champignons, de guitares sous l’influence de Marc Bolan ou Mick Ronson, de singles fantastiques et jamais trop évidents… À l’écoute de cet album, comme des six précédents, on est frappé par un détail de taille : le petit gars a des influences pléthoriques et variées qu’on peut reconnaître au passage, mais au lieu de remâcher platement ou de copier, il sait transfigurer ses références et distiller çà et là, des clins d’œil. Appuyés parfois, certes, mais toujours charmants.

Le premier extrait, « Manipulator », est un bijou garage, avec des claviers échappés de Nuggets, un groove lancinant, des paroles flippantes et d’actualité (« j’utilise ton téléphone, pour m’introduire en douce chez toi »). Et c’est parti pour quatre faces sans temps mort, sur lesquelles Ty Segall alterne les explosions de guitares, les soupirs languides à la Bolan, le noise et la fureur, le brouhaha rock, les atmosphères embrumées et fuzzy. Manipulator fait partie de ces albums difficiles à décrire et à classer, ni rétro, ni vraiment actuel, dense, mais jamais étouffant.

https://youtu.be/wTvBkGJY6-M

Il se vit, il s’écoute en boucle, oui même dans sa version vinyle (dont la pochette et son artwork valent vraiment le coup) avec ses quatre faces à changer. On commence par le disséquer, surtout quand on a des tendances Jack l’Éventreur (ou rock critique, c’est un peu pareil) et qu’on aime savoir ce que les disques ont dans le ventre… Et puis on se laisse vite embarquer dans la psychée en technicolor de Ty Segall. Il y a un sacré bordel là-bas, mais on y est bien. Et on n’a pas vraiment envie d’en sortir.