Avant de se lancer, il est nécessaire de commencer par une parenthèse. God Help The Girl n’est qu’une extension visuelle de la musique de Belle & Sebastian, et de l’esprit de Stuart Murdoch, son chanteur.
Sans la musique de Belle & Sebastian et la notoriété de Murdoch, God Help The Girl ne serait qu’un album un peu conceptuel, avec des chanteuses qui posent leurs voix sur les mots de Stuart.
La magie de Belle & Sebastian tient en une recette aussi simple que fascinante : la musique pop. Si on voulait être provocant, on pourrait dire que musicalement, le groupe de Glasgow, c’est Abba. Dans les harmonies vocales, les mélodies sucrées, les arrangements de cordes et de cuivres, Belle & Sebastian peut se vanter de cocher toutes les cases de la liste du groupe pop.
Là où le groupe se distingue, là où Belle & Sebastian fait plus que de la pop, c’est dans son intimité qui est presque… universelle. C’est-à-dire ? Les écossais parlent à tous, leur musique touche chaque personne d’une façon différente, intime et personnelle. On a chacun notre chanson de Belle & Sebastian sur notre table de chevet émotionnelle, on a tous un souvenir que les mots de Stuart Murdoch expriment mieux que notre carnet secret.
La mélancolie qui accompagne chaque chanson guillerette donne à la discographie du groupe une profondeur, un quelque chose de plus que les autres. Belle & Sebastian sait rendre noble par la musique pop les émotions les plus vaines, et c’est pour ça que leurs chansons remplissent encore des salles entières de sourires béats.
Si le groupe de Glasgow arrive à ce résultat, c’est avant tout grâce à la qualité d’écriture de Stuart Murdoch. La beauté de la musique de Belle & Sebastian est dans la douce distance et ironie que Murdoch pose sur les histoires qu’il raconte. Ce côté « tongue-in-cheek », comme on dit de l’autre côté de la Manche, qui accompagne sa vision de grand enfant – ou plutôt d’adulte attardé. Murdoch contemple son passé, son adolescence et la pop culture avec ironie mais sans jamais s’en moquer. Il raconte des histoires pour les rendre attachantes, sans en faire trop, sans jamais geindre ou se plaindre, sans jamais omettre les aspérités, la complexité voire la noirceur des personnages qu’il met en scène avec ses mots. S’identifier ? Jamais. Belle & Sebastian, un peu comme John Darnielle et ses Mountain Goats, c’est une histoire de sympathie, au sens premier du terme. Et c’est de là qu’émane la beauté de leur musique.
Fin de la parenthèse nécessaire, donc.
De 2009 à 2014, de l’Écosse à Sundance, God Help The Girl a voyagé. D’une idée simple dans le crâne de celui qui se cache derrière les chansons de Belle & Sebastian à un film musical, projeté sur grand écran, le chemin a été long.
Cette grande aventure, c’est celle d’un été à Glasgow, où Eve, James et Cassie vont se rencontrer, chanter, partager de la musique. C’est une épopée adolescente pleine de rêves brisés d’avance, d’envies jamais comblées et de mélodies douces.
God Help The Girl prend ses fondations sur ces trois personnages inadaptés à leur environnement. Ils sont tous, d’une manière ou d’une autre, complètement déconnectés de la réalité. Il y a donc Cassie, dans sa tour d’ivoire, fifille gâtée qui veut « écrire des chansons » malgré un manque évident de talent. Il y a James, bloqué dans son idéalisme musical, passéiste et incapable de prendre du recul sur sa musique, sa vie et le reste malgré une paire de lunettes trois fois plus grande que ses yeux. Et enfin il y a Eve, celle qui a la clé pour faire avancer les deux autres : c’est elle qui a entre les mains le talent, c’est elle qui sait écrire des vraies chansons pop. Sauf que Eve est anorexique, se soigne, mais prend quelques mauvaises décisions.
Voici les prémices de God Help The Girl, trois personnages tendres et attachants, avec leurs problèmes, sincères, et… lisses et superficiels.
Les trois héros n’ont aucune aspérité. C’est l’histoire parfaite d’un été rempli d’amitié, d’amourettes, de robes courtes sur des peaux diaphanes, accompagnés de mélodie pop et d’harmonies vocales.
En fait, God Help The Girl n’a pas le recul de la musique de Belle & Sebastian. L’immédiateté de l’image empêche la gentille ironie de prendre racine, empêche les personnages de devenir des vraies personnes. Ce ne sont que des caricatures des jeunes gens dessinés par Murdoch. Le film ne peut pas décoller parce que sa naïveté le fait tourner en rond. On se sent dans un épisode de Skins au format long, avec un accent écossais – mais pas trop – et la musique de Belle & Sebastian.
La seule composante de la musique de Belle & Sebastian que l’on retrouve dans ce God Help The Girl, c’est la mélancolie. Mais là encore, elle n’est que superficielle. C’est James qui regrette l’âge d’or de la pop, deux ringards d’une émission de radio qui débattent sur Joy Division.
Les références sont bien tentées, les idées sont parfois bonnes, mais voilà, jamais le film n’effleure autre chose que la surface de ses personnages, de la musique dont il se fait le porteur. On reste en surface, une surface si lisse et sans aspérités. Pour reprendre la provocation du début, God Help The Girl est l’équivalent de ce qu’Abba pouvait être à la pop. Des mélodies fantastiques mais sans histoires.
Il reste la musique, celle de God Help The Girl le groupe, réinterprétée par les trois acteurs du film, quasiment intacte. Si on peut regretter l’absence de certains titres (dont le fantastique « I’m in love with the city »), aucune surprise pour le reste, fort bien exécuté. Ce sont même les seuls moments où God Help The Girl redevient une partie de Belle & Sebastian, que l’on sent la filiation avec Stuart Murdoch. Parce que les mélodies transmettent bien mieux ces émotions que les images.
Alors on se dit que ce film était bien vain, même si l’idée était belle. La musique de Belle & Sebastian n’a pas besoin de support visuel, pas besoin de plus que ses pochettes bicolores aux visages songeurs. Alors on ressort If You’re Feeling Sinister et on susurre ces chansons qu’on garde près du cœur.