Ils auraient pu ne pas venir. Ils auraient peut-être dû ne pas venir. On ne leur en aurait pas voulu pour plein de bonnes raisons. Il y avait une tempête de neige et les cols de l’état de Washington semblaient bien compliqués à pratiquer. Et puis la tête d’affiche (Malajube) avait avancé son concert et la toute première partie était sympathique, un petit groupe du coin qui n’avait que trois morceaux sur son Myspace et s’appelait Fleet Foxes. Donc, non, on serait retournés chez nous sans regret. Pourtant, ils sont venus, ils ont joué devant quinze personnes. Et c’était grand, c’était émouvant. Héroïque.
‘Héroïque’ est pourtant un qualificatif qui va bien mal à la musique de Snowden. Oui, ce groupe porte le même nom que le geek libertaire le plus connu de la planète, qui en 2007 devait sans doute travailler calmement à la NSA. Leur premier album, Anti-Anti, leur avait valu un très mérité succès critique parce qu’il avait su séduire sur la longueur tous ceux qui avaient bien voulu lui consacrer un peu de temps. Depuis, c’est presque le silence radio. Les plus attentifs auront bien identifié l’EP Soft Syrup mais même en faisant bien attention, j’ai laissé passer le second album dont il est question aujourd’hui. Le label qui héberge Jordan Jeffares et sa bande n’est pourtant pas obscur puisqu’il s’agit de Serpents & Snakes, fondé à Nashville par les Kings of Leon pour promouvoir les artistes en qui ils croient.
Et les raisons de croire en Jordan Jeffares, le seul auteur à la manœuvre ici sont légion et elles n’ont pas changé. No One In Control est en tous cas parfaitement maitrisé, et propose déjà une montée. Il faudra aussi patienter un peu pour retrouver une intensité équivalente aux puissants Counterfeit Rules ou Black Eyes. Cette musique reste discrète, un peu distante. C’est ce qui peut susciter des rapprochements avec le mouvement post-punk et cold. Mais ce n’est pas que ça, la discrétion et l’intime font partie de son âme, et on y plonge moins facilement, que, disons, chez The XX. Mais la fin de Not Good Enough s’approche pourtant pas mal des climax discrets du passé. So Red aussi présente ces mêmes plaisirs. Sans doute qu’il serait bon qu’un remixeur inspiré s’en empare, tout comme Le Castle Vania qui avait su faire de Black Eyes la petite bombe qu’on connait.
La voix et le ton un peu distants de Jeffares semblent porter toute la lassitude du monde, pourtant cet album est absolument tout sauf geignard et il porte en lui une énergie communicative. L’aspect noisy/shoegaze des concerts par contre n’est pas visible, c’est une source d’énergie qu’ils réservent à la scène, même si on retrouve un peu de distorsion de bon aloi sur le plus lent No Words No More. Il reste cependant toute cette lourdeur qu’on aime sur The Beat Comes ou encore le lancinant Keep Quiet
Il semblerait que cet album n’ait pas eu un écho énorme et c’est évidemment dommage. Mais c’est cette discrétion, cet effacement qui paradoxalement rend cette musique si différente, si touchante. No One In Control semble porter tout le poids du monde mais on sent qu’il s’agite, qu’il convoque de la distorsion pour le plaisir de ceux qui y prêteront l’oreille. Snowden produit des merveilles mais n’assure pas la livraison, à vous d’aller chercher ces pépites comme j’ai eu le plaisir immense de les trouver. Les héros ne sont pas toujours flamboyants.