PS’Playlist décembre 2014 (Christophe, Benjamin, Marc, Olivier, Thomas)

CHRISTOPHE GAUTHIER

Dolly Parton – “Jolene”
Extrait de Jolene – 1974 – Country en 45 tours, blues en 33
Blur – “Parklife”
Extrait de Parklife – 1994 – Rock à l’accent cockney
Swans – “A Little God In My Hands”
Extrait de To be kind – 2014 – Post-rock puissant

À bien des égards 2014 aura été une année de gros changements pour moi. Déménagement près de l’océan, reconversion, préparation d’un gros projet pro qui devrait aboutir début 2015… Beaucoup de stress, de cogitations, de doutes ; peu d’envie d’écouter de nouvelles choses. C’est comme si j’avais besoin, plus que de coutume, de me rassurer avec du durable et de laisser le temps faire son œuvre sur les nouveautés musicales. J’ai passé au peigne fin mon historique YouTube et c’est flagrant : l’un des titres qui m’a le plus marqué ces derniers mois a quarante ans. Alors que je n’ai pas d’intérêt particulier pour la country, Jolene de Dolly Parton m’a retourné. Redécouvert lorsque quelqu’un, je ne sais plus qui, a posté sur Twitter un lien vers une version ralentie de la chanson, passée de 45 à 33 tours. L’original qui semblait chanté sous hélium devient alors une lente complainte irréelle, croisement mutant entre Out On The Weekend de Neil Young et un blues de Nina Simone. Merveilleux.

En 2014 aussi, je me suis réconcilié avec Blur. Pas au point de devenir fan, mais j’ai réévalué leur production après avoir regardé le documentaire No Distance Left To Run qui leur est consacré. Bon nombre de leurs morceaux me laissent toujours de marbre, mais certains trouvent vraiment grâce à mes yeux. Comme Parklife, british en diable, crétin au possible et redynamisé à l’énergie punk depuis la reformation du groupe en 2009. J’ai passé beaucoup trop de temps cette année à enchaîner les versions live de ce single.

En 2014 enfin, je n’ai pas vu assez de concerts. En quittant Paris pour La Rochelle, je m’étais préparé à avoir moins d’occasions de voir de bons lives. Erreur. Peu de temps après mon arrivée, Swans est venu faire vrombir les murs de la Sirène, belle salle à la programmation impeccable. Je craignais un peu la confrontation, le concert de 2012 au Trabendo m’ayant éreinté, physiquement et émotionnellement. Mais en ce doux soir de septembre, Michael Gira et sa troupe, gavés de fruits de mer et de vin blanc, m’ont transporté vers des territoires sonores méconnus en faisant vibrer chaque fibre de mon corps. To Be Kind, le dernier album du groupe, a fait partie des rares disques sortis en 2014 que j’ai pris le temps d’écouter. Il faudra que je fasse mieux en 2015.

BENJAMIN FOGEL

Cult of Youth – “Dragon Rouge”
Extrait de Final Days – 2014 – Dark folk / Post punk
Buzzcocks – “Keep on Believing”
Extrait de The Way – 2014 – Punk / Power pop
Gravenhurst – “Fitzrovia”
Extrait de The ghost in daylight – 2012 – Sonic Folk

Depuis quelque temps, tous les ans le même scénario se répète. Le 1er janvier de chaque année, je me dis que cette fois c’est fini, que la musique a atteint ses limites et que rien de ce qui sortira dans les mois à venir ne pourra me plaire plus que ce qui a été produit ces 300 dernières années. Chaque début d’année, empli de pessimisme, je crois que l’histoire musicale est arrivée à son terme – non sans une certaine joie à l’idée de pouvoir alors explorer sereinement un patrimoine délimité. Mais le mois de décembre arrivé, force est de constater qu’une fois de plus je me suis trompé : on a beau dire qu’il ne se passe plus rien et que c’était mieux avant, chaque nouvelle année porte en elle des dizaines et des dizaines de belles promesses et de disques qui ont tout pour marquer nos vies ; au point de nous forcer à nous rendre à l’évidence. Oui, quoiqu’il arrive, quelle que soit l’évolution des structures, des modèles et des moyens, il y aura toujours des chansons pour nous remuer les tripes. Car on peut retourner le truc dans tous les sens : le monde peut bien devenir ce qu’il veut, il y aura toujours des gens pour avoir peur de la mort et de la vie, et pour l’exprimer d’une manière incroyable, des gens comme Sean Ragon de Cult Of Youth dont le dernier album suinte toutes les contradictions de l’existence, tout en emmenant la dark folk dans ses derniers retranchements.

Toujours les mêmes questions. Toujours ce putain de mystère de l’existence. 2014 a été une année étrange – dans le bon sens du terme – pour moi. C’était une année de transition et d’accomplissement où pas mal de projets, débutés il y a bien longtemps, ont commencé à prendre forme, et devraient, si tout se passe bien, se réaliser en 2015. Changements de job, lancement des éditions Playlist Society, publication de mon premier roman, et mariage à venir… je sais combien il faut profiter de ces moments d’impulsion et d’excitation, et apprécier « l’avant ». Néanmoins, je reste un peu déçu que le corps ne suive pas toujours, et ne se réjouisse pas pour moi. Déçu que l’acouphène ne me soutienne pas et m’attrape par le col, comme pour me retenir en arrière, persuadé que je ne mérite pas tout ça. Mais je m’en fiche. Vraiment. Cette fois, je ne me laisserai pas tirer vers le bas (je touche du bois en disant ça).
Il y a quelques mois, 38 ans après leur formation, les Buzzcocks ont publié My Way, leur onzième album qui débute par le titre Keep on Believing. Avec ces types, la vie avance sans que le temps passe. Il se trouve que Pete Shelley et Steve Diggle font partie des personnages de mon livre, et ça m’a fait chaud au cœur de les retrouver là.

Pourtant, à moins d’être imperméable au monde qui nous entoure et de se focaliser sur sa propre vie, cela reste souvent difficile de maintenir l’enthousiasme. On en revient toujours au point de départ. Début décembre, Nick Talbot, l’homme derrière Gravenhurst est mort à l’âge de 37 ans. J’aimais tout chez ce type : ses mélodies à la fois intimistes et puissantes, sa discrétion, sa manière de ne pas parler quand il n’avait rien à dire, et, dans un sens sa normalité. S’il y a bien un musicien dont on pouvait se sentir proche, c’était lui. Je ne suis pas du genre à sortir les mouchoirs devant le décès des artistes dont je ne faisais au fond que « consommer » la musique (car au final, malgré l’impact émotionnel, ça se résume toujours un peu à ça). Mais là, pour le coup, ça m’a vraiment foutu mal à l’aise. C’est un peu triste et contre-productif, mais la perte de Nick Talbot est peut-être ce que je retiendrai, musicalement parlant, de 2014.

MARC MINEUR

Thee Silver Mount Zion Memorial Band – “Fuck Off Get Free (For The Island Of Montreal)”
Extrait de Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything – 2014 – Orchestre Indépendant
Her Name Is Calla – “Navigator”
Extrait de Navigator – 2014 – Post-Folk
Fink – “Shakespeare”
Extrait de Hard Believer – 2014 – Electro-Folk

Une année de musique, c’est une centaine d’albums critiqués, le double d’écoutés sans doute, donc une copieuse ration de décibels en tous genres. Qu’est-ce que je peux retenir de cette année ? Il faudra sans doute un peu de temps pour que ça décante. En attendant, j’ai choisi trois morceaux qui sont à la fois marquants sur disque et qui constituent des souvenirs de concerts.

Il y a des groupes dont on n’attend plus grand-chose. Qu’on écoute toujours avec plaisir, avec affection, mais dont on a abdiqué l’espérance de surprise. Sur scène comme sur album, le retour tout en puissance du collectif de Montréal commence par ce morceau dantesque, qui prend à la gorge et ne desserre jamais l’étreinte. C’est épuisant, fatigant comme une longue marche mais revigorant comme jamais. Soudés en demi-cercle, ils nous convient à leur feu de camp qui est sans doute un piquet de manifestation. On n’en attendait pas tant.

Les amis de nos amis sont nos amis. La transitivité ne fonctionne pas toujours, mais après avoir découvert Her Name Is Calla en première partie de toujours renversants Iliketrains, on sait qu’on va suivre longtemps ces gens-ci au gré de leurs morceaux qui passent du chouette au sublime en nous menant avec eux dans l’escalade. Humain, très humain.

Fink continue à faire ce qu’il fait très bien, une musique subtile et inclassable, entre la froideur d’une guitare martelée et une voix chaude, entre les bidouillages et les prises d’intensité. Mais ce qu’il a ajouté, c’est un peu d’exultation simple et franche, directe et jouissive. Pourquoi apprend-on Shakespeare à 16 quand on n’est pas capable de le comprendre ? Vaste question à laquelle il décide de ne pas répondre. Mais ses doutes valent toutes les certitudes du monde.

OLIVIER RAVARD

Nine Inch Nails – “Copy of A”
Extrait de Hesitation Marks – 2013
Metronomy – “Month of Sundays”
Extrait de Love Letters – 2014
The Hives – “Hate To Say I Told You So”
Extrait de Veni Vidi Vicious – 2000

Mise en abime : j’ai écouté le morceau Copy of A à peu près tous les jours de 2014. Il y est question d’être une copie d’une copie d’une copie. Vous voyez l’idée. Mordante ironie, chaque jour de 2014 ressemblant un peu plus à l’autre à cause de ce morceau. Heureusement 2014 fut une bonne année, merci. Et ce Copy of A, écoute après écoute après écoute, s’est révélé être un très grand morceau. À condition de ne pas être allergique à Nine Inch Nails et/ou insensible à la répétition hypnotique.

Vous avez déjà dansé avec votre fille ? Cela suppose que vous ayez une fille et et qu’elle soit en âge de danser sans vous mettre dans l’embarras. Ma fille a 9 ans et est tombée amoureuse de Metronomy. Il y a pire choix. Donc Month of Sundays, superbe morceau pop intemporel, comme composé à 14 mains par lez Zombies et The Cure après un week end au soleil. Tout ceci s’avère « finement ciselé » comme on dit dans les chroniques de disques. À l’écoute de la chose, je repense à ma fille, tournant sur elle même avec un sourire béat. Si ce n’est pas du bonheur, ça y ressemble quand même un peu. Décidément, 2014 fut une très bonne année.

L’année pourrait s’écouler comme ça. Une année de dimanches ouatés. Rien pour troubler la douce quiétude du bonheur retrouvé gnangnagna. C’est sans compter sur les Hives. Les Hives, ou l’étalon de mesure du punk à la mise impeccable. Les Hives, au panthéon des groupes bourrasques. Si chaque morceau des Hives est un ouragan salvateur. Ce Hate To Say I Told You So en constitue la matrice originelle, ici présentée live dans une version impeccable, ambiance club bas de plafond. Les fondamentaux quoi. Les Hives m’ont rappelé que mes cervicales ne sont plus ce qu’elles étaient, mais réveillez-vous au moins une fois avec ce morceau à plein volume et vous comprendrez ce que commencer une journée veut dire. C’était mon hymne 2014. 2014, à n’en point douter une belle année.

THOMAS MESSIAS

Bridget St. John – “Back to stay”
Extrait de Songs for the gentle man – 1971 – Ouvrir les portes et les fenêtres
Miossec – “30 ans”
Extrait de L’Étreinte – 2006 – Bon anniversaire
Daft Punk – “Veridis Quo”
Extrait de Discovery – 2001 – Eden à l’ouest

Ce fut encore une année en forme de montagnes russes (à bien y réfléchir, toutes les années sont en forme de montagnes russes). Il y eut ce déménagement vers des cieux plus roses. Il y eut ce projet artistique prenant, préoccupant, exaltant aussi. La conjonction des deux événements se trouve dans la chanson de Bridget St. John. Parce que ce morceau, lové au cœur du très fort Trois soeurs de Milagros Mumenthaler, symbolise à la fois ce que j’aime dans le cinéma argentin, et ce que j’ai trouvé dans ce déménagement et dans ce projet personnel : l’impression de se sentir soi, de se sentir chez soi, d’avoir enfin trouvé sa place. À trente ans, il était temps.

Cela faisait huit ans que je m’étais promis de me réveiller le jour de mon trentième anniversaire avec le 30 ans de Miossec dans les oreilles. Le jour venu, l’envie n’était plus là. Parce que je n’ai pas l’intention de regarder le papier peint vieillir en attendant la mort. Parce que ça n’aurait pas été le bon symbole de l’impulsion que je souhaite donner à mon existence pour les dix ans à venir. J’ai écouté la chanson quelques jours plus tard, la larme à l’œil, mais pour d’autres raisons. Tant pis pour les victoires, et tant mieux pour les défaites. De toute façon, on a toujours l’air aussi bête.

Cela se confirme d’année en année, de mois en mois : je n’ai jamais vécu avec mon temps, et les jours qui passent ne perdent jamais une occasion de me le rappeler. Il aura fallu par exemple que Mia Hansen-Løve sorte enfin son tant attendu Eden pour que je découvre le morceau Veridis Quo de Daft Punk et, plus largement, tout un pan de ce courant garage dont je ne connaissais que le nom. Résultat : l’envie inédite d’aller danser dans un hangar jusqu’au bout de la nuit (ou jusqu’au milieu de la nuit, faut pas déconner, j’ai plus de 30 ans désormais).