On peut réussir son premier roman en partant d’une histoire banale. Le jour de sa rentrée dans un lycée d’arts appliqués, Camille, 15 ans, est foudroyée par une apparition – Mathieu, beau gosse à l’allure androgyne et l’air mystérieux. Elle en tombe amoureuse sur le champ, persuadée que cette relation va transformer sa vie.
Et c’est parti pour l’inverse d’un roman à l’eau de rose, puisque l’histoire d’amour idéal(isé)e ne va pas se dérouler comme prévu et que Camille n’a rien d’une héroïne gentiment niaise de comédie romantique. Le beau tourmenté disparaît sans se rendre compte des sentiments qu’il a inspiré, mais Camille retrouve sa trace et décide de lui dévoiler ses sentiments.
C’est donc sur fond de hauts et de bas d’une relation foireuse d’avance que se déroule Noël en Février (qui, les amateurs l’auront repéré, doit son titre à une chanson de Lou Reed). Un premier roman dans lequel Sylvia Hansel tire le portrait, trop juste pour être entièrement fictionnel, d’une ado presque ordinaire, au sein d’une famille recomposée, vivant dans une petite maison « coquette, comme disent les agents immobiliers » d’une banlieue dortoir où les seules distractions consistent à boire des bières ou traîner à l’abribus pour enquiquiner les filles.
Si de nombreux romans parlent de l’adolescence comme d’une période fertile en drames en tous genres – sexe, drogue et troubles alimentaires – Noël en Février ne sombre jamais dans la noirceur gratuite (l’unique scène de violence est vite expédiée et d’autant plus glaçante) et joue la carte de l’impressionnisme, décrivant cet âge d’entre-deux par petites touches drôles et grinçantes, pudiques et brutalement honnêtes. Il y a l’ennui, les hésitations, le sentiment de ne jamais être à sa place, les rêves, les désillusions et, en filigrane, le rock qui rend la vie moins monotone, sert de base aux amitiés (ou de repoussoir). Et en la matière, Camille a bon goût.
L’écriture directe, parfois familière, de Sylvia Hansel fait merveille tout au long du roman. On n’y sent jamais la fausse prose jeune forcée, le besoin de créer une connivence générationnelle avec le lecteur, ni les références trop faciles à la pop culture ou au langage des années 1990. Avec un humour pince sans rire, un rien désabusé, l’auteure décrit aussi bien des scènes de déconne lycéenne que des moments de désespoir. Comme lorsqu’elle annonce à sa mère la fin de son histoire d’amour : « Mathieu m’a quittée ; j’ai vomi mes pâtes. » Une scène qui se conclue dans la cuisine familiale pendant les préparatifs du dîner, sur une de ces phrases douces-amères dont elle a le secret : « Moi j’avais envie de mourir et des patates à éplucher. »
À la fin du roman – ambiguë, un peu tordue, à l’image de la relation qui l’a alimenté – on repense aux premières pages de Noël en février, à la solitude de Camille, pas assez conformiste pour se couler dans le moule de l’ado populaire. Et on a envie de devenir son amie. Ou plutôt d’envoyer son moi de 15 ans la rejoindre. D’aller boire une bière ensemble en écoutant Hole et les Breeders. De passer devant l’abribus sans se soucier des commentaires des gars qui zonent là toute la journée. De monter peut-être ce groupe de rock dont elle rêve. De lui dire que son Mathieu est un loser et qu’elle mérite mieux. Mais qu’au final, il lui aura inspiré un très beau bouquin.