Mon Roi : guerre sale
En compétition au 68ème festival de Cannes 2015. Durée : 2h10.
Dans une boîte de nuit, Tony aborde Georgio. Il est charmant, facétieux, a un appartement magnifique (bien que décoré avec un manque flagrant de goût), il râpe de la truffe sur ses chocolats chauds. C’est le coup de foudre. Le couple passe quelques années de folie hystérique sur fond de coke et de plaisirs bling bling. Et puis Tony tombe enceinte. Et puis la réalité rattrape Georgio. Alors que celui qu’elle croyait être l’homme de sa vie tombe peu à peu le masque, la jeune femme n’est pas prête à regarder la vérité en face. Et le couple se déchire pendant de longues années.
Mon roi, c’est l’histoire de la perversion narcissique. Un thème à la mode qu’il est si important de traiter tant ce trouble mental est la cause de grandes souffrances chez les proches des sujets concernés. Et qu’on croise autant dans les gros titres des journaux féminins qu’en trame de fond de L’Amour et les forêts d’Éric Reinhardt, finaliste du Goncourt.
De prime abord, Georgio n’est qu’un être lumineux, brillant, attirant. Une personnalité au contact de laquelle Tony ne pense pas une seconde qu’elle va se brûler (malgré les réserves de ses proches, le caustique et délicieux Louis Garrel en tête). Elle croit à la fast life, au sexe, aux jeux, au fric, aux plaisirs immédiats et artificiels. Elle ne voit pas l’envers du décor, les gueules de bois, les huissiers, les gamines qui se succèdent dans le lit de celui qu’elle croit aimer, les relations coquilles vides avec les autres. Parce que le film manipule autant que son sujet, nous ne les verrons pas non plus. Et puis quand il faut développer une empathie avec celle qui souffre, il n’y aura plus que ça.
Ça commence par de la poudre aux yeux avant de dériver vers le drame le plus sordide. Mais avant ça, le spectateur aura eu le temps d’en avoir marre jusqu’au dégoût du caviar à la petite cuillère, du spectacle permanent, de la flambe. Alors il ne reste plus rien. Plus d’attraits chez Georgio (Vincent Cassel n’a pas du beaucoup se forcer pour interpréter ce personnage mi-ombre, mi-lumière), plus d’empathie pour Tony, qui semble autant s’accrocher à son amour déçu qu’à la vie dorée qu’il lui a promis.
Maïwenn raconte ce qu’elle connaît. Les milieux qu’elle fréquente. Elle raconte les fêtes et la vacuité, la drogue et le charme des excès. Elle s’offre une bonne conscience sociale en intégrant des jeunes black-blancs-beurs. Mais la vérité, c’est que son décor l’éloigne du vrai sujet. De la vraie souffrance. Et voilà qu’à dénoncer une vie artificielle, une relation artificielle, elle tombe dans ses propres pièges et livre un film artificiel.
Dès la deuxième heure, chaque plan où apparaît Vincent Cassel est une torture. Son existence même sur l’écran donne un sale goût dans la bouche, il dégoûte, il hérisse. C’est un monstre. Chaque preuve de sa décadence, chaque cadeau indécent, est une insulte, un crachat en pleine face. Le spectateur se sent victime. Il souffre d’une manière beaucoup plus insidieuse que Tony, puisqu’il n’a jamais décidé de rester, de se marier, de faire un enfant. Il est juste posé là, en état de souffrance, à attendre une issue écrite depuis le départ. À attendre qu’on daigne enfin retirer ce personnage cauchemardesque de sa vue et de sa vie.
Pour raconter l’horreur, la manipulation, et les maltraitances psychologiques, a-t-on besoin de devenir soi-même bourreau, de prendre les autres à parti pour leur infliger les mêmes souffrances qu’on dénonce ? La gratuité du geste ne crée rien d’autre que du rejet. Celui des personnages, de leur vie déconnectée, de leurs problèmes « de riches », de leur mauvais goût crasse qui dégouline sur tout. À ce stade, que Tony se reconstruise à travers une métaphore hasardeuse qui file beaucoup trop longtemps, ou ne redécouvre la vie via des jeunes qui jonglent avec des yaourts nature à la cantine plutôt que de s’enfiler des pelletées de caviar, est un détail. Parce que le plus triste échec de Maïwenn sur Mon roi c’est de rendre Tony complice, avide de fric et de plaisirs, aveugle et vide, creuse comme la vie qui la fait rêver. C’est moins l’histoire d’une femme écrasée par une personnalité narcissique qu’une guerre d’égos. Et cette guerre, c’est une guerre sale, sinistre et pathétique.
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