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A girl at my door : suivre sa nature

Durée : 1h59. Sortie en DVD et VOD : 5 mai 2015.

Par Lucile Bellan, le 03-06-2015
Cinéma et Séries

C’est parfois l’existence même d’une œuvre qui est un geste militant, pour l’évolution de la société et des mœurs, pour faire avancer la tolérance. A girl at my door est le premier film sud-coréen à aborder, sans l’aborder, la question de l’homosexualité féminine. Ce n’est pas techniquement le sujet du film ; seulement Young-Nam, le personnage principal, est lesbienne, c’est comme ça.

Alors qu’elle est commissaire de police à Séoul, Young-Nam est débarquée dans un commissariat de province dans une petite ville coréenne. Mise au placard. Si ses compétences ne font pas de doute, il apparaît vite que la jeune femme a été rétrogradée pour des raisons de mœurs. Son obsession à cacher son orientation sexuelle, et plus globalement sa vie privée, la pousse vers la boisson. Mais son amitié avec la jeune Dohee va éveiller les soupçons de la population locale.

A girl at my door ne semble donc pas avoir de volonté militante, mais la finesse avec laquelle le film dépeint la difficulté à aller contre sa nature, ce qu’il dit sur la société coréenne et le regard qu’elle porte sur l’homosexualité en font un objet tout à fait indispensable.

« La lesbienne invisible » n’est pas un mythe.

Inutile de chercher en France un traitement aussi simple et naturel, il n’existe pour ainsi dire pas. « La lesbienne invisible » n’est pas un mythe. Les personnages du cinéma français censés incarner la communauté sont principalement fait pour rassurer et décomplexer le spectateur lambda, et donc le faire rire. On pense à Marijo dans Gazon Maudit et puis c’est à peu près tout. Une nouvelle amie de François Ozon apportait un regard moins caricatural sur l’homosexualité féminine, mais finalement la complexité et les subtilités de son scénario le rendaient difficilement représentatif. De son côté, La vie d’Adèle avait divisé la France – en ayant au passage, le mérite d’avoir démocratisé le sujet, au moins pendant un temps –, autant à cause de son traitement qu’à cause de la personnalité de son réalisateur. La belle saison de Catherine Corsini pourrait renverser la balance mais il faudrait pour cela que la réalisatrice ait entretemps trouvé talent et finesse et ça ne semble pas gagné.

Chaque occurrence est une exception. Si les hommes gays ont peu à peu gagné une place dans le cinéma populaire français, de la caricature évidemment au personnage sympathique secondaire, les femmes restent, quant à elles sous-représentées. Le sujet dérange, il gêne aux entournures, principalement à cause du « mystère » qui entoure leurs pratiques sexuelles. « Whatever lesbians do in bed » dit à juste titre Louis CK dans son one man show à Phoenix à 2013.

Le film raconte comment on refuse à une femme le droit d’être invisible.

A girl at my door est éloigné de tout ça. Il est éloigné de la notion de drague, de couple lesbien, de visibilité même. Le film raconte juste comment on refuse à une femme le droit d’être invisible, puisqu’on ne lui donne non plus pas le droit d’être autre chose. Et plus qu’un drame social (avec une véritable histoire de fond sur la violence domestique et la vie de village complexe dans le fin fond de la Corée « rurale »), c’est surtout un film qui donne à réfléchir sur le propre regard que nous portons sur Young-Nam. Parce que nous attendons tous un retournement pédophilo-lesbien. Cette méprise, cette méconnaissance, est à l’image de notre société en France comme en Corée. Nous ne valons pas mieux que les paysans ou les policiers qui condamnent Young-Nam sans rien savoir d’elle. Pourtant, nous ne demandons pas mieux que d’apprendre à la connaître. Mais la connaître vraiment, sans la carapace qu’elle a forgée avec les années pour survivre, sans l’alcool pour supporter la honte, sans le masque qui l’éloigne un peu plus de nous pour la rapprocher d’un robot sans vie et sans âme.

Tout n’est pas parfait dans A girl at my door. Il y a des faiblesses, une overdose de pathos parfois, un amour du drame, qui alourdissent un ensemble déjà fort. Mais son existence est une pierre qui marque les esprits, qui fait avancer la cause, la tolérance et les mœurs. Nous n’avons rien à envier à la Corée mais nous pouvons la remercier de nous envoyer de si justes témoignages, une alternative à ce que nous produisons, une inspiration pour les années à venir.