Il est des histoires qu’on a préféré oublier, qu’on croit enterrées pour de bon, et qui finissent par resurgir et s’imposer. Des fantômes qui reviennent vous hanter. Le fantôme éponyme dont il est ici question s’appelait en réalité Françoise Wald. Janine était un surnom. Elle tenait les claviers de WC3 (né A 3 dans les WC), un des (très) bons représentants de la new wave française.
Lors de la première date de la tournée épaulant la sortie de La Machine infernale, second album du groupe, à Grenoble, le 19 avril 1984, Janine/Françoise quitte la scène en plein milieu du concert, et ne revient pas. Reno et Éric, qui complètent le trio (avec une boîte à rythmes Linn) finissent le set sans elle. Ils la retrouveront un peu plus tard dans leur voiture, sans connaissance, un tube de médicaments à ses pieds. Elle meurt dans la foulée, à 25 ans.
Dans le public se trouve Olivier Hodasava, jeune fan fervent des Saint-Quentinois. À l’issue du concert, inconscient, comme le groupe, du drame en train de se jouer, il se fait même dédicacer un poster par Éric, le bassiste. Olivier n’apprendra que des semaines après, en lisant les nécrologies des mensuels spécialisés, la suite des événements de la nuit.
Trente ans plus tard, Olivier Hodasava, qui vient de perdre son père, doit vider l’appartement de ses parents. Et retombe ainsi sur le poster de WC3 : «C’est en découvrant l’affiche que j’ai pris conscience qu’il allait falloir que j’écrive sur cette tragédie dont le hasard avait fait de moi un presque témoin. Il y avait maintenant deux morts, deux suicides, qui marquaient les bornes de ma vie de “jeune” adulte. L’une, symboliquement, m’avait fait quitter l’innocence, l’autre me laissait en première ligne.»
Habitué des voyages virtuels autour du globe – il tient un blog très original, Dreamlands Virtual Tour, à partir de photos glanées sur StreetView –, Olivier Hodasava se lance ici dans une double quête. Avec deux fils qu’il tire et entrecroise sur toute la longueur de ce petit livre. Premier fil, l’itinéraire du groupe et, avec le sien, celui de Janine, reconstitué à partir d’articles d’époque, de rencontres avec les survivants et des archives fournies par Ludo, le manager et grand frère de WC3. C’est une histoire de hasards heureux ou malheureux, de rapports façon “je t’aime moi non plus” avec une major, de conviction et de désinvolture, dépeinte avec ce qu’il faut de détails pour restituer la lettre et l’esprit d’une époque et d’une génération, et ce qu’il faut de distance pour ne pas sombrer dans l’anecdotique et donner une dimension plus universelle et intemporelle à ce parcours initiatique.
L’autre fil, c’est celui de ce concert du 19 avril 1984 et de ses suites. Dont les survivants ne tiennent pas à parler. « Pour [Éric], ce n’était qu’une histoire sordide. Triste et sordide. Inutile d’y revenir. Si je voulais écrire dessus, pas de problème, je pouvais, mais je n’avais qu’à imaginer. Après tout, j’étais censé être écrivain. » Et, écrivain, Olivier Hodasava l’est vraiment, pour parvenir ainsi à étirer et accélérer le temps, à faire ressentir toutes les pensées et sensations qui se bousculent, la panique, l’impuissance, le chagrin.
L’auteur ne prétend pas avoir de réponse définitive à la grande question que l’on se pose face à un suicide : pourquoi ? Secrète, l’ex-élève du conservatoire passée au (post) punk, au grand dam de ses parents conservateurs, l’était. Et le groupe plus porté à la provoc déconnante – je peux en témoigner pour l’avoir côtoyé – qu’à l’introspection. Mais Olivier Hodasava donne des pistes. Surtout, il brosse le beau portrait en creux d’une jeune femme un peu isolée dans un groupe – et un univers – de mecs, dans ce premier roman qui peut se lire d’une traite, sans qu’il soit nécessaire d’avoir jamais entendu une traître note de WC3 pour entrer dans la danse.