Beyond the mountains and hills (Me’ever laharim vehagvaot) : tous coupables
Film présenté le dimanche 15 mai 2016 en sélection Un Certain Regard du 69ème festival de Cannes (compétition).
Dans son précédent film, le raté The Exchange, Eran Kolirin décortiquait le pas en arrière d’un trentenaire décidé à prendre un léger recul afin d’observer son existence de l’extérieur. Pris de vertiges face à l’infinie vacuité de sa propre vie, il finissait par prendre la tangente au rythme d’une fuite conventionnelle en diable, se terminant face à la mer comme trop de films ne sachant que dire. C’est quasiment le contraire qui se produit dans Beyond the mountains and hills, dans lequel un ancien militaire tente d’intégrer la société, du marché du travail jusqu’au cercle familial. De prime abord, on croit à un film social, une sorte de Loi du marché israélienne dans laquelle un homme entre deux âges subit de plein fouet les ravages de la crise économique et peine à se reconvertir malgré la bonne volonté affichée. Tentant brièvement de vendre des compléments alimentaires au gré de réunions façon Tupperware se soldant par des échecs cuisants, David claque la porte aussi vite qu’il est entré, et ne tarde pas à effectuer la plus cinglante des conclusions : ce n’est pas lui qui est en train de rater sa vie, mais c’est son pays qui la lui gâche consciencieusement.
En cause, la modernité de cette société avec laquelle il n’est pas en phase. Il est difficile de trouver un emploi satisfaisant et capable de faire vivre un foyer, certes, mais il y a bien pire. Il y a ces ados rivés sur leur smartphone et sur lesquels il peine à exercer son autorité (un comble pour un ancien gradé respecté). Il y a cette conscience politique qui s’éveille chez une génération déterminée à ne pas se laisser marcher sur les pieds par les gouvernants d’un pays trop militarisé. Il y a cette épouse qui enseigne l’hébreu, fréquente de jeunes gens, se sent libre de suivre ses envies. Tout va trop vite pour David : cette société semble avancer sans lui, évoluer sans lui avoir réservé de place. La façon qu’a Kolirin d’avancer à ses côtés et d’épouser son point de vue dans chaque scène centrée sur David ne laisse guère de doute : il partage totalement le point de vue réactionnaire de son héros dépassé, dont le « C’était mieux avant » plein d’amertume n’a aucune chance de faire bouger les lignes.
Plus le film se développe, plus il s’éloigne de David pour se muer en un film choral sans autre volonté que celle de suivre chacun des membres de sa famille et de les opposer à lui. Le schéma développé par Kolirin est totalement binaire : si l’ancien militaire est une victime de cette méchante société, son épouse et ses deux enfants sont quant à eux coupables. Coupables d’avoir su prendre le train en marche, d’avoir aspiré à plus de liberté dans un pays ou prendre son envol ne semble pas chose simple. Concernant l’émancipation des femmes, le propos est particulièrement consternant : la femme de David finit par céder aux avances de l’un de ses élèves, tandis que sa fille qui milite politiquement et fraternise avec les arabes (qui habitent de l’autre côté de la colline, d’où le titre) va en payer les conséquences.
Il est tout de même troublant (pour ne pas dire fâcheux) que le film ne fasse preuve de compassion que lorsqu’il suit celui que Kolirin nommerait probablement le chef de famille. Dans son hit La visite de la fanfare (près d’un demi-million de spectateurs français en 2007), il décrivait avec tendresse et ironie la stupéfaction d’un vieux chef d’orchestre égyptien face à la liberté d’actes et de paroles de son hôtesse israélienne jouée par la regrettée Ronit Elkabetz. Bien qu’âgé de 42 ans seulement, le cinéaste se révèle ici pleinement : le vieux chef d’orchestre, c’est lui. L’archaïsme de son point de vue, sans parler des lourdeurs de certains rebondissements et de quelques plans-clés, a de quoi faire désespérer qu’il soit devenu malgré tout l’un des fers de lance du cinéma de son pays si complexe.
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