Rester vertical : l’animal debout
Film présenté le jeudi 12 mai 2016 en sélection officielle du 69ème festival de Cannes (compétition).
Alain Guiraudie cherche la liberté. Une liberté qui transpire dans son cinéma dès ces premiers films où les sexes et les sexualités comme les codes et les genres se mélangent sans complexe. Dans Rester vertical, il retrouve le causse de Du soleil pour les gueux et de Voici venu le temps. Et la bergère, incarnée par India Hair, n’est pas sans rappeler ses bergers d’ « ounayes ». Rester vertical a donc au premier abord un air de déjà vu. Léo erre dans le causse à la recherche du loup, tombe sur une bergère avec qui il partage un moment de sensualité. Et la suite, est plus incongrue encore, à la fois différente et semblable à ses précédents contes de bandits et de guerriers. Léo est réalisateur, travaillant sans passion à un hypothétique scénario qui peine à prendre forme. En parallèle, il effectue un périple qui a des airs de chemin psychanalytique. Une psychanalyse qui semble être celle même du vrai réalisateur, Alain Guiraudie.
Rester vertical n’est pas loin, en effet, d’être un film somme, parfait mélange des obsessions du réalisateur. Plus qu’une patte ou une signature, certains éléments reviennent comme des éléments de construction de la psyché de l’auteur et s’affinent même avec les années. Le causse, les mains rugueuses des paysans à la sexualité fluide, le sexe des femmes comme un objet mystérieux et fascinant, la paternité, les forces de la nature et un attrait pour les éléments fantastiques (la pomme de terre aphrodisiaque du Roi de l’évasion, la druidesse de Rester vertical, les ounayes de Du soleil pour les gueux). Dans tous, se retrouve la notion de fuite dans la quête de la liberté et du bien-être et qui finit invariablement à la servitude. La liberté a toujours un coût à payer trop cher pour l’individu.
Léo, dans Rester vertical, est enchaîné à sa responsabilité d’artiste et aux impératifs matériels. Pourtant l’argent lui manque et l’inspiration aussi. C’est dans ces souffrances qu’il trouve son salut, dans le causse et une vie simple de père de famille. Mais l’équilibre n’est toujours pas là. Attiré par un jeune homme, toujours enchaîné à son producteur par l’argent, Léo semble mener une double vie. Peu à peu, sa précaire construction s’étiole et le fait tomber dans la rue. Alors qu’il ne possède plus rien, il apparaît libéré d’un poids : son angoisse de la page blanche a disparu. Plus rien de l’oblige à écrire son scénario.
C’est en retournant à son point de départ, le causse, au plus près des animaux et de la nature, qu’il semble le plus libre. Mais cette liberté a le goût de la servitude. Seule le distingue des animaux son intention de « rester vertical » malgré l’épreuve et la peur. Ce n’est pas d’être père qui fait de lui un homme, ni être un artiste, ni posséder une voiture ou un appartement, mais le simple fait de rester debout dans l’adversité. Évident courage et folie qui le mèneront à sa perte. Rester vertical peut donc être autant perçu comme une lente descente de l’échelle sociale que comme un cheminement philosophique. En faisant face pour la première fois à l’issue de son périple, Léo est plus homme qu’il ne l’a jamais été.
Chez Alain Guiraudie, l’homme est beau. Ses héros s’engagent dans l’amour et leur sexualité est décomplexée, aimant hommes et femmes sans distinction de sexe. Rester vertical ne déroge pas à la règle. Si l’amour entre hommes est un enjeu, le sexe féminin reflète les plaines du causse en miroir, en forme et en fertilité.
Et puisque hommes et femmes sont sur le même plan en terme de sexualité, Alain Guiraudie questionne leur égalité au quotidien en jugeant silencieusement les maisons désordonnées désertées par les femmes ou les propos sexistes du vieux Marcel. Et égalité ne signifie pas monde plus vertueux, idée évoquée par Marie quand elle impose le droit d’abandonner son enfant, « comme les pères le font tous les jours ».
En ce sens, le monde dépeint par Alain Guiraudie celui qui grandit en lui et porte à la fois ses angoisses et ses espoirs, est une utopie heureuse. Elle ne s’embarrasse pas de tabous et d’indifférences. C’est un monde polymorphe, toujours à la lisière avec le rêve et les fantasmes, qui se questionne et se construit sur des doutes. Il n’aspire au fond qu’à un plus grand équilibre entre les hommes et la nature, entre les hommes et leur nature.
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