Personal affairs (Omor shakhsiya) : ballets absurdes
Film présenté le jeudi 12 mai 2016 en sélection Un Certain Regard du 69ème festival de Cannes (compétition).
La formule est complètement démodée, et c’est pour ça qu’elle est bath : Personal affairs est un film un peu vache. La réalisatrice Maha Haj (dont c’est la première réalisation après avoir travaillé aux côtés d’Elia Suleiman ou encore Ziad Doueri) déploie un style quasiment scandinave dans sa façon de taquiner ses personnages avec une bienveillance un rien fourbe. Si l’amour qu’elle porte à ses protagonistes est absolument incontestable, on la devine en train de guetter attentivement le moment où ils seront proches du point de non-retour, le but étant de s’arrêter juste avant cet instant où rire de quelqu’un tourne à la maltraitance. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’action se téléporte quelquefois du côté de la Suède : on sent poindre chez cette prometteuse cinéaste quelque chose comme une envie encore inaboutie de se prendre pour Roy Andersson.
Schématisons allègrement en affirmant que le cinéma israélien (ou du moins ce qu’on en voit en France) semble ne proposer que deux alternatives : soit des films tristement sérieux, soit des comédies tape-cuisses mêlant un peu de burlesque et beaucoup de vieillot. Étiqueté palestinien tout en étant produit en Israël, Personal affairs entend emprunter une troisième voie moins balisée, avec ce parti pris qui semble anodin mais qui pourtant change tout : pour Maha Haj, parler d’Israël, c’est avant tout parler de celles et ceux qui y sont nés ou qui y vivent. Trop souvent dans les films israéliens, et c’est encore une horrible généralisation, Israël a tendance à faire de l’ombre aux personnages et aux situations. La situation politique du pays écrase non seulement ceux qui la vivent au quotidien, mais également ceux qui tentent de la filmer. C’est avec un heureux détachement que la réalisatrice parvient à faire exister les êtres auxquels elle a forgé des destinées parfois cocasses et souvent grinçantes.
C’est par le portrait d’un vieux couple que le film trouve sa voie. Elle ne semble vivre qu’à travers les plats qu’elle mitonne et les soap operas devant lesquels elle passe le plus clair de ses journées. Lui rêve à d’autres vies, son ordinateur portable sur les genoux, en observant son épouse d’un œil méprisant, voire accusateur, qui suffit à faire rire jaune. Ces deux-là ne s’aiment plus, c’est clair. Se sont-ils seulement jamais aimés ? Ils traînent leur vie conjugale derrière eux comme la plus encombrante des carcasses, rêvant de tout plaquer mais l’exprimant de façon bien différente. Le silence lourd de sens qui traverse leur quotidien suffit à créer un décalage étonnamment grisant.
De la grand-mère qui perd la boule au gendre garagiste un peu simplet à qui l’on promet soudain un grand rôle dans un film américain, chacun sort magnifié par une écriture qui utilise les défauts et les faiblesses des personnages pour mettre en relief leur humanité. Maha Haj a sans doute regardé travailler Elia Suleiman : avec l’infinie modestie qui est la sienne, elle lui emprunte un goût pour les ballets absurdes, comme dans ces moments où la mamie un peu perdue se met en tête de déplacer des meubles plus larges qu’elle. Tous se débattent pour tenter d’exister, ou parce qu’ils ne savent rien faire d’autre.
Pourtant, malgré cette apparente légèreté, le film ne refuse pas de parler politique. Que le personnage le plus épanoui soit celui qui a choisi d’émigrer en Suède n’est sans doute pas un hasard. Que l’armée finisse par arrêter l’artiste de la famille pour l’interroger non plus. Israël est là, tenace mais en arrière-plan, laissant les héros de Personal affairs s’arranger comme ils le peuvent avec leur vision de la liberté et de l’épanouissement. Certains fils du récit resteront comme inachevés, d’autres se concluront de façon plus ou moins réaliste. Tous, en tout cas, participent à l’idée selon laquelle le bonheur est moins une affaire de territoire que de conquête.
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