Swagger : entre les murs et au-delà
Film présenté le samedi 14 mai 2016 dans le cadre de l'ACID.
Une fois n’est pas coutume : c’est la forme de Swagger qui en fait un film militant. Vidéaste et cinéaste, Olivier Babinet a posé ses caméras dans un collège-lycée d’Aulnay-sous-Bois dont il a décidé de suivre et interviewer onze jeunes gens singuliers qui racontent leur parcours, leurs aspirations, leurs lubies. Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, un tel sujet aurait été traité à l’aide d’un dispositif minimaliste, avec options à choisir entre noir et blanc crasseux, cadre austère, absence de chef éclairagiste, couleurs ternes pour faire plus vrai. Babinet envoie valser tout cela et choisit de mettre en scène ses entretiens et de faire rejouer quelques bribes de vraie vie par ses différents intervenants. Résultat : le film se serait contenté de recueillir les témoignages des collégiens face caméra qu’il aurait déjà été somptueux. Les cadres sont tendus, les arrière-plans travaillés, le découpage des interviews laisse à penser que plusieurs caméras ont été utilisées. Dans Swagger, même le déjà vu est inédit. Comme ces fameux plans sur des façades d’immeubles, que le réalisateur magnifie. Ça ne tient sans doute à rien : un angle, un mouvement de caméra, un choix de lumière. Swagger avance avec exigence. C’est pour ça qu’on peut lui faire confiance.
Les jeunes individus choisis par Olivier Babinet ont tous quelques chose de spécial. Une personnalité atypique, une volonté de fer, une histoire personnelle si chargée qu’ils ne seront jamais des êtres comme tout le monde. Interrogés, ils sont seuls à l’image, y compris dans des lieux censés accueillir du public. Derrière ce parti pris majeur, une idée géniale et modeste à la fois : affirmer que si ces onze-là sont aussi singuliers, c’est aussi parce que justement, ils sont seuls en scène. Et donc sous-entendre que chacun, chacune, aurait pu figurer dans le documentaire, parce que la singularité ça se cultive et ça se détecte. Formidable élan de positivité de la part de Swagger : il s’agit d’affirmer que chaque ado est un roman potentiel, qu’il en soit conscient ou non. Les plus exubérants sortent forcément un peu du lot, mais tous disposent d’assez d’espace à l’écran pour exprimer qui ils sont, d’où ils viennent et où ils se rendent.
S’il fallait ne retenir qu’une personnalité, ce serait sans doute celle de Régis, aujourd’hui âgé de 16 ans, passionné par la mode et estimant qu’il n’y a personne au monde de plus important que sa mère. Tiré à quatre épingles du matin jusqu’au soir, Régis arpente fièrement la cité dans des tenues irréprochables qui le font se sentir bien, et considère la vie comme un gigantesque podium. Menton levé vers le ciel et port altier, Régis n’a pas prémédité sa façon d’être, mais contribue cependant à donner une autre image de ces quartiers d’apparence austère dont on croit à tort qu’ils gomment systématiquement la moindre aspérité de leurs habitants. Or Régis est respecté, considéré, voire carrément admiré par ceux qu’il croise sur son passage, ravis de le voir porter si haut les couleurs d’Aulnay-sous-Bois.
Parce que leurs trajectoires sont les plus intéressantes et parce que, statistiquement, c’est ce qu’il fallait pour représenter ces élèves de façon représentative, Olivier Babinet s’est avant tout intéressé à des élèves nés à l’étranger ou issus d’une immigration plutôt récente. Il en ressort une fierté d’appartenir à ce pays (passage très fort dans lequel les jeunes gens racontent l’obtention de leurs papiers français) bien que ce dernier ait un peu tendance à vouloir les laisser sur le bas-côté. De part en part, Swagger montre à quel point cette jeunesse-là est l’avenir de notre France. Des individus dont il ne faut pas juste tolérer la présence, mais qui constituent véritablement la France de demain, celle qui doit se battre pour davantage d’ouverture, de considération et d’échange. Le message est positif mais pas niais : nous avons tellement de chance de vivre dans le même pays que Régis et compagnie.
Swagger, c’est aussi un peu de bizarrerie et pas mal d’inquiétude. Difficile d’oublier le monologue de la jeune Naïla sur Mickey, qu’elle imagine le plus sérieusement du monde comme une sorte de monstre plus sanguinaire que le clown de Ça de Stephen King. Difficile aussi d’oublier le regard si désorienté de cette jeune fille incapable de dire son nom devant la caméra, qui avouera ensuite n’avoir aucun souvenir d’enfance et ne pas savoir ce qu’est l’amitié étant donnée son infinie solitude… On se souvient alors de la terrible conclusion d’Entre les murs, à la fin duquel une élève expliquait au prof joué par François Bégaudeau qu’elle n’avait rien retenu de son année de quatrième parce qu’elle ne comprenait rien de A à Z. Même sentiment de perdition, même regard qui ne parvient pas à se fixer, submergé par la honte et la détresse. La frontalité avec laquelle Babinet recueille ce témoignage absolument terrible glace le sang. La réalité surpasse alors très largement la fiction en terme d’intensité dramatique, si bien que l’on regrette que Swagger ne soit pas un documentaire pur et dur. En comparaison, et aussi bien exécutées soient-elles, les séquences où la réalité est rejouée à l’écran apparaissent comme un peu trop factices. Pas de quoi gâcher la réussite de ce très bel objet qui ne méprise ni le fond ni la forme, comme une marque de profond respect à l’égard de celles et ceux qu’il immortalise.
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