Billie Holiday – Billie’s Blues
Face B de “Summertime”– 1936 – Instant volé
C’est l’unique composition personnelle de Lady Day et elle y a tout mis. Dans le titre, tout d’abord, ce surnom Billy que lui avait donné son “Papa Clarence” qui la trouvait bagarreuse et qu’elle a féminisé en hommage à une vedette du muet, avant de l’abandonner au soir si peu tardif se son existence pour reprendre son prénom de naissance, Eleanora. Le swing nonchalant ensuite, fragilité ontologique qu’elle aura incarné au quotidien autant que dans ses chansons, à défaut de pouvoir jamais le théoriser. Et puis cette allusion aux hommes, enfin, traités en dépit du bon sens comme des messies de l’amour, comme des raisons troubles de ne pas se damner tout à fait.
JP Nataf – Tout doux
Extrait de “Plus de sucre” – 2004 – Churro musical
Autant, concernant Les Innocents, j’étais l’un des plus fervents acquéreurs de leurs K7 audios (oui je sais, mais on avait dit pas le physique), autant cette sortie solo du CD de JP Nataf avait atteint mon fil d’informations sans atteindre mes oreilles. Je découvre donc sur le tard ce titre du songwriter français, alors qu’entre temps les Innocents ont sorti un nouvel opus non sans intérêt et que ledit Nataf a servi le succès d’autrui, avec Mina Tindle par exemple. Les arrangements semblent tournoyer autour d’une base très simple à la guitare sèche, comme si la personnalité de l’auteur se déployait par vagues successives. Et sur un fond qui rejoint le “Je n’ai que deux pieds” de Thomas Fersen, sa belle écriture rythmée (“Roule, aboule / Vieux garçon naïf”) dévoile tout l’impensé de son personnage de nounours atrabilaire : “Je m’enterre sans qu’on ait à me regretter”, ” Roule, roucoule / Vieux Gitan maïs / Tout doux sur le vindicatif”).
Manset – Que t’ont-ils fait
Extrait d’“Opération Aphrodite” – 2016 – La Crimée lacrimale
On peut tout à fait, sans suivre jusqu’au bout ce concept album quelque peu tortueux, librement inspiré des écrits du dandy Pierre Louÿs, se réjouir de retrouver la voix unique de Gérard Manset. Sa voix qui surgit ici au détour d’un titre en forme de complainte mid-tempo, son timbre tremblant mais imperturbable tel qu’il illuminait il y a un quart de siècle le singulier “Revivre”, et, pour le servir, ces riffs d’un autre âge et ce goût pour les allitérations (“Toujours, toujours / Recommencer toujours / Tu cours, tu cours “) et l’anaphore (“Ma chérie mon aimée / Mon grand huit parfumé / Ma chérie mon aimée / Dont la poitrine se soulève / Ma chérie mon aimée / La portière s’est refermée”). Le saxophone répond à deux notes de piano pendant que le trouvère prononce des paroles mystiques (“J’embrasse ton ventre nu / Si je m’allonge à ton côté”) ou empreintes de poésie pure (“Nous irons plus loin que l’Euphrate / Nous irons plus loin que l’été”).
Sch – Anarchie
Extrait d’“Anarchie” – 2016 – Gomorra des villes
Alors que Marseille a longtemps été en France la capitale du rap conscient et d’un certain culte du code postal, Julien Schneider alias Sch, jeune rappeur qui vient de là, s’attache lui davantage à digérer dix ans d’Auto-Tune sur un air à la Future. Anarchy in the UKIP? Son “Anarchie” ne traite pas de ça, dans un premier album qui vient confirmer l’immense succès de sa mixtape A7, de gamos sur les Champs en bang bang de Gomorra. Sch, à coups de virgules vocales et d’obsessions soniques, a le mérite d’avoir inventé très jeune une signature immédiatement reconnaissable. Une boucle de pianola entêtante, “on connaît ni untel ni untel”, “tellement loin qu’on oublie oui” : c’est une errance d’oiseau de mauvais augure que nous avons ici entre les oreilles, l’arme du crime entre les mains, la cime sublime et trois fois rien.