The Get Down (6): une série moralement correcte
Des voyous bien élevés
Dans les 6 premiers épisodes, les leçons de morale pleuvent de toute part. Flash, Papa Fuerte, Mr Gunns, Ms Green du lycée de Zeke, son oncle, Kool Herc, tout le monde a une morale et des leçons de vie à partager. En cela aussi The Get Down est une teen-serie : elle possède beaucoup d’ingrédients tiré du roman d’apprentissage. Si elle se dispersait moins, c’est même là où elle aurait pu marquer le plus de points.
Nécessités de l’exportation, ou pruderie des producteurs, toujours est-il que les durs à cuire du ghetto ont une vie amoureuse plutôt rangée. Ezekiel et Mylene constituent toujours, dans les scènes situés dans le futur en 1996, une incarnation du couple idéal formé au lycée. La série se déroule en 1977, mais elle est tournée presque 40 ans plus tard, dans une Amérique plus prude que celle de l’époque (alors que le récit laisse entendre exactement l’inverse). Car depuis les années 1990 l’âge moyen des premiers rapports sexuels est en hausse aux états-Unis. Les jeunes passent à l’acte de moins en moins jeune, ce qui n’est pas du tout la tendance ailleurs (en France la moyenne est assez stable pour les garçons, et l’âge moyen a diminué pour les filles, les ados des deux sexes perdant désormais sensiblement leur virginité avant 18 ans). Les parents peuvent montrer The Get Down à leurs gosses, sans crainte qu’elle les corrompe.
On retrouve également cette forme de pruderie avec le personnage de Papa Fuerte qui, sous ses airs de parrain, n’a eu qu’un amour et lui reste fidèle. Certes, dans un épisode il y a une galoche entre deux garçons, et la série n’est pas totalement normative ou réac, juste un peu plus fleur bleue dans l’ensemble que son sujet et la présence des gangs ne pourraient le laisser croire. Il y a même une scène cocasse où les adolescents frondeurs se sermonnent entre eux sur la nécessité de ne pas utiliser de gros mots!
Un hymne disco-religieux
Côté bons sentiments et valeurs traditionnelles, la musique n’est pas en reste. Un producteur junkie, comme s’il venait de voir la vierge, explique dans une tirade d’anthologie au pasteur rigoriste que la disco peut porter un message d’élévation et d’amour chrétien, et qu’enregistrer dans son église donnerait plus de force à ce message. La chanson originale de The Get Down, « Set me free », le tube de la série auquel participe Nile Rogers de Chic, est donc un hymne disco-mystique. La jeune chanteuse est ravie de pouvoir enregistrer, et le papa grincheux est content. À dire vrai, on ne compte pas énormément de chansons de l’époque qui en appellent aux vertus de la communauté. L’une d’entre elles, déjà mentionnée, « Let’s clean up the ghetto », est un tube imparable… sur l’entraide entre voisins. L’autre est un rap de 1980 fabuleux, très politique mais sans lendemain, de Brother D and Collective Effort, « How we gonna make the black nation rise ? », dont le refrain martèle la réponse : « educate, agitate, organize ». « Set me free » rejoint à sa manière cette catégorie de chansons, musicalement ancrées dans le meilleur de leur époque, et dont le message véhicule des valeurs positives d’entraide communautaire. Ce n’est ni « Fight the power », ni NTM et son « Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? ».
L’histoire du rap, de toute façon, n’est pas forcément celle d’une insurrection. Pas dans ses premières années en tout cas. Pas celles de Kool Herc et d’Afrika Bambaataa, qui ont voulu remplacer les affrontements violents de rue par des duels artistiques pacifiques qui ne diviseraient pas leur communauté. Toujours est-il que The Get Down n’est pas particulièrement transgressive, alors qu’elle brosse le portrait idéalisé (et déformé) d’une génération qui bouscule tous les codes de celle de leurs parents.
Pourtant malgré tous ses défauts (elle a aussi des qualités), regarder The Get Down a le mérite de donner envie d’ouvrir toutes les portes entrouvertes ici, notamment pour ceux qui voudraient réellement se plonger dans les débuts du hip hop ou dans l’histoire du New York de l’époque. En outre les fans de rap pourront se rattraper prochainement avec la série The Breaks.
Si l’on est friand de la nostalgie ambiante et des séries « d’époque » savamment recréées, de Mad Men à Vinyl, The Get Down apportera son lot de satisfaction. Sa réalisation soignée, sa bande son stylée, son rythme enlevé et ses comédiens plaisants suffisent à faire oublier les scories et les faiblesses de l’écriture. À mi-parcours, tout reste encore possible, le naufrage comme le sauvetage. Réponse en 2017 avec la deuxième partie de la saison.
(Fin)
Pour prolonger le plaisir et aller plus loin:
Le documentaire Style Wars (1983)
Le film Beat Street (1984) en version intégrale
Le documentaire NY77: the coolest year in hell en ligne (2009)
Interview du grapheur Skeme
Une rap battle mémorable de 1981 entre Busy Bee, Kool Moe Dee et les Cold Crush brothers
Un show live de Grandmaster flash & 3 Mcs de 1979
Un point de vue très positif sur la série dans The Atlantic, revue de fond et référence sur les questions raciales et sociales
Writers, documentaire sur le graffiti en France 1983-2003
the hip-hop family tree en ligne
Interview de Karim Hammou sur l’histoire du rap français
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