PS’Playlist décembre 2016 (Isabelle, Arbobo, Marc, Benjamin)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2016 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
Michael C. Hall – Lazarus
Extrait de “Lazarus (Original Cast Recording)” – 2016 – Musical de luxe
El Vez – Chihuahua
Extrait de “A Lad From Spain?” – 1998 – rock’n’roll
The Julie Ruin – I’m Doner
Extrait de “Hit Reset” – 2016 – power pop pour riot grrrl
Après le cauchemar de 2015, je pensais que 2016 ne pouvait qu’être plus douce. Je l’ai souhaité très fort lors du premier jour de l’année, entourée d’une trentaine d’amis, à préparer des gaufres, boire du champagne et soigner des gueules de bois. Le 10 janvier, on ressortait les kleenex. J’ai pleuré sur la mort de David Bowie et la fin de mon adolescence. Jamais je ne réaliserais mon rêve, celui de l’interviewer un jour, même si je savais que ne le voir qu’une demi-heure serait l’expérience la plus frustrante qui soit. Je me suis consolée chez le tatoueur. Une fois à Berlin, pour la Blackstar et sa typographie, une fois à Paris, pour l’éclair d’Aladdin Sane que je voulais tant à 14 ans… Lazarus interprétée par Michael C. Hall est aussi bouleversante que l’originale. Par moments, sans qu’il cherche à imiter Bowie, il en adopte certaines intonations. Le résultat est troublant. Parfait pour celle qui ne sait jamais faire son deuil…
En septembre, Bettie nous a quittés après 17 ans d’une très belle vie de chat. Ce petit machin de la taille d’un chaton de 8 mois avait une personnalité inversement proportionnelle à son gabarit. Impossible d’adopter un autre chat après elle. Nous n’avions jamais eu de chien – une trop grosse responsabilité pour nous – mais en 2016, sans Bettie, avec son frangin-chat déprimé, nous avons sauté le pas. Yoda le chihuahua était abandonné, malade cardiaque et surtout très attachant. Et même s’il prend l’air stoned de Snoop Dog quand il s’endort, j’ai choisi ce morceau d’El Vez. Parce qu’El Vez est un personnage qui mérite d’être connu, entre imitateur d’Elvis sauce latino, détourneur de classiques du rock et artiste plus fin et sensible qu’il ne le laisse paraître…
En 2016, j’ai déserté les salles de concerts et surtout parcouru des musées et des galeries. Je suis allée un peu contrainte et forcée voir the Julie Ruin au Point FMR, traînée par Thierry prétextant que je ne pouvais pas ne jamais voir Kathleen Hanna. J’ai failli partir exaspérée par le public au bout de dix minutes. Kathleen Hanna aussi, Entre le lourdaud qui braillait des slogans pro-choix (mais en l’interrompant sans cesse) et les filles du premier rang qui voulaient qu’elle vire un spectateur et rêvaient de revivre les grandes heures des riot grrrls, l’ambiance était tendue. Miraculeusement, Kathleen Hanna a repris le dessus. Cette fille-là, avec sa voix de Powerpuff Girl survoltée, son allure sexy et puissante, son mélange explosif d’intelligence, de sensibilité et d’humour, mérite bien plus qu’un statut d’héroïne underground. Ça ne doit pas être facile tous les soirs d’être dans sa peau. Et pourtant, elle le fait avec beaucoup de grâce et d’aplomb. Sans avoir l’air d’avoir peur. En la voyant, je me suis promis que ma bonne résolution pour 2017 serait d’oser. De prendre ma place au lieu d’attendre qu’on m’en cède une.
Solange – Cranes in the sky
Extrait de “A seat at the table” – 2016 – Soul with a soul
Pauline Drand – I see beauty
Extrait de “I see beauty” – 2016 – Folk
Pascal Pinon – Jósa & Lotta
Extrait de “Sundur” – 2016 – Rhapsodie polaire
2016 est une année où j’aurai connu beaucoup de joies, de vraies satisfactions, mais aussi eu les poings serrés au fond des poches plus souvent que d’habitude, les détresses privées s’ajoutant aux horreurs du monde. Le soleil brille, mais plus il cogne et plus les merdes sentent fort. Si je dois résumer cette année musicalement, certains de mes compatriotes m’ont aidé à garder un peu de foi en l’humanité, j’ai eu l’impression de voir le monde tomber en ruine à peu près partout, et j’ai trouvé dans la danse une manière de dire par le corps ce que je n’ai plus les mots pour exprimer.
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On a aussi dansé sur Toi et moi de Paradis, sur les sémillantes et maladroites madrilènes Hinds, on s’est frottés sur Fig in leather de Devendra Banhart, sur 99% de Kaytranada et Ging ging de la suédoise El perro del mar, sur Broke me in two de Joan as police woman. Et puis il y a ce nouvel album d’Anthony Joseph, passé inaperçu alors qu’il chante “our history”, celle des petits-enfants de l’esclavage, comme personne.
Mais dans l’album de Solange Knowles il y a un truc en plus, plus sincèrement politique que chez sa soeur, plus en phase avec l’urgence de clamer “black lives matter”, et une forme d’audace mainstream qui inspire le respect. Cranes, in the sky, des grues en travers du ciel, qui sont là pour nous élever. Danser, s’oublier, le regard vers le ciel.
L’hexagone est une forme géométrique aux angles obtus. L’hexagone n’en manque pas, d’artistes grand ouverts aux influences d’ailleurs sans oublier d’avoir leur personnalité. Et s’il y a bien une chose qu’il est impossible de reprocher à Pauline Drand, ce serait d’être obtuse. Joli paradoxe. Arrivée depuis peu, elle a déjà imposé une voix et un chant bienfaisants. Aussi aimable que sa musique, elle réjouit autant par ce qu’elle est que par ce qu’elle nous donne à entendre. Comme on a le coeur grand, on ne voudrait surtout pas oublier qu’en 2016 nous avons frémis de plaisir grâce à Marie-Flore, à La féline, à Stranded horse, aux Limiñanas, à Juliette Armanet. 2016 nous aura aussi, parfois, fait du bien, grâce te soit rendue Pauline Drand.
Qui sera la voix de notre tristesse? Dans ce monde en éruption où nos espoirs de jours meilleurs sont battus par des vents mauvais, qui portera nos pleurs et nous dira des mots de réconfort? Leonard Cohen a expiré un dernier murmure, presque éteint, apaisé et grave. Hope Sandoval, retrouvée au sommet après des années à gâcher son talent et sa voix de pythie, chante notre désolation. Toujours aussi douée, l’espagnole Maika Makovski nous rassure avec bienveillance (Stand by your side). Alicia Keys nous exprime comment Kill your mama. Les chiliens Préhistöricos psalmodient ce qu’il reste après la foudre (rayo adentro). Le tumulte héléno-australien de Xylouris-White, ou la colère Borders de M.I.A. auraient pu illustrer nos élans de colère. Mais il faut voir au-delà de la colère, trouver la force de résister aux haines, et les jumelles islandaises de Pascal Pinon savent nous dire cela. Dans peu d’endroit j’aurai senti autant de bienveillance et de respect d’autrui que sur cette île rude et lumineuse. Les soeurs Ákadóttir viennent d’un pays qui a su mettre ses banquiers véreux en prison, c’est à dire à l’air libre loin de la capitale. Une certaine idée de l’humanité et des valeurs, dans le pays où fut fondé le plus ancien Parlement de l’histoire. A méditer au son apaisant de Pascal Pinon.
Swans – Cloud of Unknowing (excerpt)
Extrait de “The Glowing Man” – 2016 – Post-Apocalypse Core
The Veils – Low Lays The Devil
Extrait de “Total Depravity” – 2015 – Britpop Sombre
Rufus Wainwright – A Woman’s Face – Reprise (Sonnet 20)
Extrait de “Take All My Loves : 9 Shakespeare Sonnets” – 2016 – Contemporain
Si l’année a été remplie d’écoute de musique, elle a été moins fournie en concerts. Mais la qualité était bien là. S’il m’a fallu attendre 2016 pour oser me frotter à l’imposante discographie de Swans (oui, j’ai tout écouté…), il y a eu un excellent album et un concert pour pleinement m’imprégner de cette ambiance si particulière. Le magnétisme de Gira est proprement sidérant. S’il faut évidemment du temps pour s’imprégner de ces morceaux qui se dégustent sur la longueur, un court extrait peut donner une idée du paroxysme qu’ils peuvent atteindre. De quoi vous donner envie d’en savoir plus s’il est nécessaire.
Il y a des groupes qu’on ne rate presque jamais quand ils passent dans le coin. D’autant moins quand ils ont un excellent album sous le bras. “Total Depravity” est sans doute un des plus aboutis, les plus sombres et intenses de la formation de Neil Finn<. Sur scène, ils transforment l'essai grâce à une intensité de tous les instants. On les suivra encore longtemps parce qu'ils ne semblent pas vouloir rompre le lien qui nous lie à eux depuis plus de treize ans. https://youtu.be/PBbQ1UA5iHo Sur le papier, l'idée de Rufus Wainwright de mettre en musique des sonnets de Shakespeare avait tout de la fausse bonne idée mégalomane. Surtout qu'on n'avait pas un souvenir immense de ses tentatives. En composant pour d'authentiques talents lyriques, en invitant des personnalités aussi disparates que sa soeur Martha, Florence Welch ou William Shatner et en alternant morceaux plus pop (celui-ci qui ne montre qu'une facette du projet) et envolées d'opéra, il montre que le talent, le vrai, triomphe de n'importe quelle ambition. https://www.youtube.com/watch?v=e1DkfphhRFw BENJAMIN FOGEL
Alex Beaupain – Loin
Extrait de “Loin” – 2016 – Chanson française
Tim Hecker – Castrati Stack
Extrait de “Love Streams” – 2016 – Ambient
Swans – The Glowing Man
Extrait de “The Glowing Man” – 2016 – Noise Rock
« Voilà on est loin de se douter qu’on en est déjà là. Entamés plus qu’à moitié, tout ça pour ça » : cette phrase d’Alex Beaupain, tirée de “Loin”, son magnifique cinquième album qui creuse encore la question du deuil, a tourné en boucle dans mon cerveau en 2016, l’année de mes 35 ans ; une année étrange, une année de reconstruction, avec d’abord ses bas, puis ses hauts. Je ne me suis jamais autant laissé aller à la nostalgie que ces douze derniers mois. Une nostalgie qui m’empêchait de me lever le matin, mais sur laquelle Beaupain m’a permis de porter un regard différent.
C’est peut-être pour ça que j’ai été également obsédé par le nouvel album de Tim Hecker, un disque où le musicien s’interroge sur la suite à donner à sa carrière, sur le renouvellement, sur la réinvention. Ses réponses se trouvent dans le recours à de nouvelles matières premières. Il s’agit de sortir de sa zone de confort et de faire rentrer dans son univers des choses qu’on pensait qu’elles n’y avaient pas leur place.
Cette année, j’ai aussi – mais pour être honnête, il faudrait dire « surtout » et non « aussi » – publié un essai sur Swans, un groupe auquel on peut toujours se raccrocher, en se calant sur sa capacité à aller de l’avant. Swans est un des rares groupes qui n’a jamais abandonné la quête du saint graal musical. Michael Gira et ses musiciens jouent avec la conviction que le sens de la vie se cache derrière le mur du son. C’est non seulement magnifique de suivre leur aventure, mais même souvent essentiel.