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Est-ce ainsi que les hommes vivent. Le 16 décembre 2016 un tweet de Kanye West – je confesse avoir abonné mon téléphone à leur fil, si bien (ou afin) que quand l’extravagant Yeezy tweete j’ai l’impression qu’il m’adresse un texto –, un tweet de Kanye West donc met en lumière la sortie du dernier album en date de Kid Cudi, le trouvant, dit-il, “super inspiring” (West avait mis en 2008 le pied à l’étrier du natif de l’Ohio). Voici nos modes de consommation, nos canaux de prescription comme disent les pros. Quoi qu’il en soit, il n’en faut pas plus pour que je me rue sur l’écoute dudit opus, Passion, Pain & Demon Slayin’, découvrant au passage son auteur, dont je n’avais entendu parler que vaguement, et surtout pour un sujet para-musical mais non des moindres : sa dépression.

Et en effet, nouveaux modes de consommation et d’information obligent, la page Wikipédia du rappeur de 32 ans nous informe que l’artiste a annoncé le 30 septembre 2016 sur son Facebook souffrir d’une dépression et s’être fait hospitaliser pour cette raison, s’excusant auprès de son public et de ses proches d’avoir dissimulé sa maladie. Il s’avère que Scott Mescudi (son vrai nom, d’ascendance mexicaine) avait déjà évoqué précédemment en interview ses troubles dépressifs et ses tendances suicidaires, sans pour autant s’étendre dans la même mesure. Cela dénote un rapport public-privé qui évolue, pas seulement au point de vue technique, et cela donne à la maladie un rôle à part entière.

Nous y sommes : l’album est composé comme une pièce de théâtre en quatre actes au sein de laquelle la maladie autrefois nommée mélancolie tient une place de choix. C’est à tel point que le humming (action de fredonner des airs entre ses lèvres), dont Cudi est spécialiste, devient de proche en proche une manière d’évoquer cet enserrement du Moi dans une cage hostile, cette Présence de la mort comme aurait dit Ramuz. À la manière d’un spectre où d’une épée de Damoclès, ce venin noir s’instille dans les recoins poisseux du disque. Mais il faut aussi noter que son troisième acte est titré “Niveaux de l’amour”, en français dans le texte, et que les éléments naturels, source d’une bienveillante renaissance, sont aussi très présents : la lumière, le feu et le cosmos.

Il se dégage de ce projet quelque chose de solennel et de doux à la fois.

Sans aller jusqu’à parler de paix intérieure – ce serait sans doute prématuré –, il se dégage de ce projet quelque chose de solennel et de doux à la fois, un oxymore soudain rendu sublime par le soin des productions (principalement orchestrées par Mike Dean, Plain Pat et Cudi himself) et de fertiles collaboration avec les déjà anciens André 3000 et Pharell Williams, ou encore avec le sémillant Travis Scott sur l’envoûtant “Baptized in Fire”. Si l’aventure est parfois un poil trop homérique pour éviter d’indigestes sirènes, il faut néanmoins s’attarder sur des gimmicks somptueux telles ces quelques notes de fin de morceau : la harpe de “Cosmic Warrior” et le piano de “Releaser”, qui évoque la lettre qu’écrivait jadis Polnareff à son pays natal depuis les États-Unis.

Après avoir raconté, accompagné d’un chœur à la Marvin Gaye, le salut par une rose qui aurait la forme d’une étoile et d’un papillon (la Golden Wings, visible à Paris en bords de Seine, près du Jardin Bleu), Cudi conclut sa représentation par quatre scènes-titres regroupées sous le nom de “It’s Bright and Heaven Is Warm”. La question de la catharsis, cette sublimation des passions dans l’art, n’est pas neuve et ne doit pas masquer la pathologie lourde que constitue la dépression. Néanmoins avec Passion, Pain & Demon Slayin’, Kid Cudi dresse des ponts entre plusieurs questionnements de l’âme et il le fait avec un fraîcheur conservée, comme si la guérison était pour lui aussi précieuse que l’aurore et sa perle de rosée .