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Vivere : mains, chansons, paysages

Sortie le 18 janvier 2017. Durée : 1h49.

Par Thomas Messias, le 18-01-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Écoutons les femmes' composée de 26 articles. Voir le sommaire de la série.

Voilà une vingtaine d’années que Judith Abitbol filme ce qui l’inspire, au gré de ses envies et de ses rencontres. De la montagne de rushes formée au fil des années, elle ambitionne aujourd’hui d’extraire plusieurs films « de tous genres et de toutes durées » (ce sont ses mots), regroupés sous le titre Certains fruits de l’asile. Vivere en est le premier chapitre, dans lequel elle filme quelques pans des dernières années d’une vieille dame italienne, Ede Bartolozzi, gagnée peu à peu par la maladie d’Alzheimer.

Alzheimer n’était pas le sujet de base ; d’ailleurs il n’y avait pas de sujet de base. Si Ede Bartolozzi a intéressé Judith Abitbol, c’est grâce à l’émotion procurée par ses retrouvailles épisodiques mais toujours poignantes avec sa fille Paola. Les informations explicites sont rares, alors on extrapole comme on peut : il semble que Paola soit installée en France depuis de nombreuses années et profite de certains instants de liberté pour revenir dans le village de Modigliana, où elle est née et où sa mère vit toujours. Au début, Judith Abitbol a filmé parce qu’elle suivait Paola dans ses périples italiens. Elle a aimé la façon dont les deux femmes se retrouvaient et se redécouvraient, les étreintes pleines d’amour et les mains qui caressent les visages.

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Le portrait est si pudique qu’il donne la chair de poule.

Et puis la maladie est arrivée, ce qui n’a modifié ni l’approche de la réalisatrice, ni la profonde affection avec laquelle Paola a continué à s’occuper d’Ede. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus beau dans le film : à travers le portrait de la mère, il y a ces images de la fille, qui tâche avec une patience d’ange de colmater les brèches de l’oubli et de faire vivre à sa mère toujours plus d’instants de joie. Ce que l’on voit de Paola est admirable : dans ses yeux, il y a le calme et la détermination dont nous voudrions tous faire preuve dans ce genre de situation. Elle y parvient avec brio, ne montrant jamais à sa mère que ce qu’elle voit l’inquiète, l’effraie, la bouleverse. Le portrait est si pudique qu’il donne la chair de poule.

Filmé comme un journal de bord dont l’auteure se serait soustraite au montage (la cinéaste confie avoir notamment coupé les passages dans lesquels on entendait sa voix), Vivere prend le temps de montrer ce que sont l’amour et le bonheur lorsqu’on leur laisse la place d’exister. Parce qu’elle n’a bientôt plus les mots, Ede pose ses mains sur les visages de ceux qu’elle croise, et cette façon d’essayer de trouver des repères est teintée d’une tendresse qui chavire. Il y a aussi ces paysages qu’on décortique, avec leurs couleurs qui changent, parce que les êtres ne sont pas les seuls à changer. Il y a ces chansons italiennes dont Ede ne parvient plus à suivre les paroles, jusqu’à ce moment de grâce où elle semble brutalement (mais temporairement) avoir retrouvé la mémoire. La tête de la vieille dame se vide peu à peu, et c’est si triste. Mais il y a dans Vivere cette volonté de cueillir le jour autant que possible, pour repousser l’effondrement et s’offrir ensemble des souvenirs qui flotteront dans les airs pour l’éternité.

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