Le Concours : l’école où les rêves se font
Sortie le 8 février 2017. Durée : 1h59.
À propos de tant d’autres, ce serait un cliché, mais pour Claire Simon, c’est la pure vérité : les films sont des rencontres. Au cours d’une aventure filmique qui dure depuis plus d’un quart de siècle, elle n’a emprunté des chemins de traverse fictionnels qu’à quatre reprises (de Sinon, oui en 1997 à Gare du Nord en 2013). Le reste du temps, c’est par le prisme du documentaire que la cinéaste dit son amour des gens, des lieux. Le style Claire Simon, c’est une apparente spontanéité qui fait oublier le travail faramineux d’une cinéaste fourmi, toujours respectueuse des sujets dont elle s’empare. Fourmi mais aussi caméléon, tant elle semble dorénavant capable de filmer n’importe quel univers en semblant s’y sentir parfaitement à l’aise. Du bois de Vincennes (héros du Bois dont les rêves sont faits, son film précédent) aux alcôves de la Femis (théâtre de ce Concours), il y a bien plus d’un pas. Pourtant, à la manière d’un Frederick Wiseman dont la carrière est certes nettement plus foisonnante, Claire Simon évolue de sphère en sphère de façon admirable, portant un regard tendrement acéré sur les êtres qu’elle trouve sur son chemin.
Comme chez Depardon ou Wiseman (pour ne citer que les plus fameux), il y a chez Claire Simon une volonté de se soustraire à son sujet, de faire oublier sa présence aux protagonistes comme aux spectateurs. Ici, elle n’est qu’un œil (contrairement au Bois dont les rêves sont faits, où l’on entendait régulièrement sa voix). Ni reporter ni réalisatrice de télé-crochet, c’est bien en cinéaste que Simon s’exprime, chacune des étapes du concours de la Femis lui permettant d’esquisser des portraits individuels ou collectifs. En même temps qu’elle nous fait rencontrer des inconnus dont certains sont des personnages (au sens truculent du terme), c’est aussi tout un microcosme qu’elle dépeint, et aussi toute une génération de futurs grands noms du cinéma. Chaque marche qui mène vers les précieux sésames (quelques dizaines de places dans cette école publique de cinéma, située à Paris, où l’on apprend à réaliser, écrire, produire, distribuer) montre les choses sous un angle différent. L’écrémage qui se produit au fur et à mesure des différentes sélections a pour effet d’épurer peu à peu le film, construit en forme d’entonnoir.
Il y a d’abord la foule des premiers jours, celle de ces aspirants étudiants qui viennent tenter leur chance et tout donner dans une épreuve écrite. Il y a aussi la masse, plus compacte mais néanmoins impressionnante, des professionnels chargés d’évaluer les dossiers rendus. Dans ces deux groupes, une seule constante : l’incertitude. Les candidats frissonnent à l’idée d’être passés à côté de leur sujet, puis c’est au tour des membres des jurys, terrifiés de laisser s’échapper sans s’en rendre compte le futur grand ou la future grande qui aurait pu marquer à jamais le cinéma français. Les étapes de sélection qui vont suivre se dérouleront dans des bureaux, des salles de conférence, des plateaux de tournage. Le tout sera de plus en plus intime, parce que c’est le concours qui veut ça. La délicieuse épreuve de scénario (proposer quelques axes scénaristiques en partant d’une poignée de mots piochés au hasard) permet de mettre en lumière des jeunes artistes fascinants, qu’ils semblent totalement barrés ou juste brillants. Les longs entretiens finaux avec un jury de pros donnent quant à eux la possibilité de sonder réellement l’âme des candidats. La Femis, c’est le diable. Elle vous promet monts et merveilles en échange d’une dévotion absolue.
Le diable ? Oui. Mais un diable sélectif, pas toujours sûr de ses propres méthodes. Génies antipathiques, personnages hauts en couleurs mais sans doute instables, professionnels consciencieux auxquels manque sans doute l’étincelle : qui la Femis a-t-elle envie (ou besoin) de sélectionner ? Au sein du jury, les débats font rage. On a peur que tel candidat ne rentre pas dans le moule tout en refusant d’admettre qu’il y a bien un moule. On voudrait favoriser tel autre qui vient de la France d’en bas (horreur des termes employés par ces jurés un peu trop parisiens), mais on s’écharpe sur les bienfaits d’une discrimination positive. La dimension politique du Concours est saisissante : on y voit comme une oligarchie parisianiste entend continuer à faire la pluie et le beau temps, en se posant parfois des questions sur sa propre légitimité mais sans jamais avoir le cran d’aller au bout des choses. Lorsque l’une des secrétaires imprime la liste des lauréats pour aller l’afficher enfin (formidable scène filmée de l’intérieur, qui montre les candidats comme des lions autour d’un morceau de viande), la conclusion ne tarde pas à arriver, implacable. Au terme de ces semaines d’efforts et de débats passionnés, ceux qui ont été pris sont ceux qui devaient l’être. Sans surprise ni frisson. Portrait d’un cinéma arithmétique qui, à force de procéder par calculs, en oublie de se réinventer.
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