Fantastic birthday : Greta et les minimonstres
Sortie le 20 mars 2017. Durée : 1h20.
Il est dit qu’aucun texte sur Fantastic birthday ne pourra éviter de mentionner Wes Anderson. Alors voilà, c’est dit, le film de Rosemary Myers ressemble à du Wes Anderson. Passons à autre chose. Car outre son cousinage difficilement contestable avec Moonrise Kingdom (et d’autres films du cinéaste), Girl asleep (titre original mille fois meilleur que son adaptation française un peu nulle) pioche plus ou moins volontairement dans une kyrielle d’autres univers moins immédiatement reconnaissables mais dont l’influence est pourtant palpable. Au commencement était Greta, adolescente à tâches de rousseur et uniforme, courtisée par deux groupes de nouveaux amis potentiels. Il y a d’abord Elliott, haricot vert à l’improbable tignasse frisée, qui tente de surmonter sa timidité pour lui offrir un donut et de l’amitié. Il y a ensuite Jade, Amber et Sapphire, trois filles aussi influentes que similaires, qui lui proposent de rejoindre leur bande à condition de lisser sa personnalité et son physique pour devenir à son tour leur sosie. Entre la potentialité d’une amitié sincère et l’assurance d’entrer dans une bande populaire et respectée, Greta est déboussolée. Et l’imminence de son quinzième anniversaire, à l’occasion duquel des parents envahissants lui organisent une surpat’ dont elle ne veut pas, ne fait que renforcer ses angoisses.
Plans fixes, décors chiadés, astuces narratives et visuelles à mi-chemin entre attendrissement et agacement : tout démarre comme dans un teen movie sauce hipster, avec le risque que cette machine trop bien huilée ne produise aucune chaleur. Mais il y a un grain de sable : la boîte à musique hexagonale qui trône sur sa table de chevet fait basculer Greta dans un univers parallèle aussi sombre que les pensées qui l’animent, et au sein duquel elle devra combattre ses démons et ses craintes d’adolescente. Et nous voilà dans un Mulholland drive lo-fi dont on n’aurait pas oublié de nous donner la clé. Fantastic birthday reste extrêmement lisible tout du long, refusant d’aller au-delà du double degré de lecture afin de rester extrêmement lisible. Bientôt aspirée par la forêt qui jouxte son logis, Greta part alors à la rencontre d’êtres mystérieux qui ne sont que les reflets de ses tourments et de ses craintes. Êtres mythologiques (le film va jusqu’à puiser dans les mythes scandinaves) ou idole de la chanson : chaque face-à-face sera l’occasion pour Greta de régler un compte avec elle-même ou de ressortir plus déterminée et plus sereine de ce voyage onirique. Comme le Max de Maurice Sendak (et Spike Jonze) faisait voile vers le pays des maximonstres, Greta sillonne l’univers de ces êtres inquiétants dans l’instant mais clairement inoffensifs au final. N’essayant jamais de jouer sur la confusion entre le réel et le rêvé, Myers ne laisse jamais de doute sur l’issue heureuse du périple de Greta : celle-ci ne sera ni occise par une créature mystérieuse, ni violée par un chanteur français trop pédant et trop pressant.
Fantastic birthday, c’est en fait du féminisme pour les nul(le)s, mais dans le bon sens du terme. En une heure vingt et à un rythme assez trépidant (la première scène prend son temps de façon assez trompeuse), c’est ensuite tout un catalogue de notions qui sont expliquées de façon didactique-mais-pas-trop. Charmant mais plus profond qu’il n’y paraît, le film n’est peut-être pas un impérissable chef d’oeuvre, mais a tout de l’outil idéal pour initier les ados du monde entier au consentement, aux gender studies, à l’inexistence de la friendzone, au bodyshaming… Le film pose idéalement les bases de ces concepts fondamentaux, mais le fait de façon assez rassurante. Greta a le droit de refuser des avances, même si elles viennent de son idole. Elle a le droit de préférer le smoking à la robe de soirée. Elle a le droit de dire non à son meilleur ami, et ça n’est pas parce qu’il est trop gentil. Et elle a des petits seins mais ça n’a rien d’une tare. Espérons que dans cent ans, ces affirmations seront des évidences (on peut rêver).
Au-delà du délire et des papiers peints à motifs, il y a donc un vrai fond, faisant de Fantastic birthday un film pas si éloigné de la série Man seeking woman, qui à travers des paraboles souvent abracadabrantes (et parfois macabres) soulevait des questions importantes sur le célibat, le couple, la drague et autres sujets souvent traités de façon trop romantique ou trop frontale. Court mais dense, le film vaut réellement mieux que son étiquette wesandersonienne, pas déshonorante mais qui tend à le réduire à un empilement de gimmicks et de plans trop travaillés. Or ce n’est pas qu’un film pour adultes cinéphiles : c’est un incontournable à montrer à votre cousin ou à votre soeur si leur âge vaut la moitié du vôtre ou si leur perception des concepts cités plus haut vous semble totalement embrouillée.
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