Alors que la majorité des réalisateurs font des films pour eux et un peu pour les autres, Robert Rodriguez fait des films pour les autres et un peu pour lui. Si l’on ne peut pas toujours vanter la pertinence artistique de son œuvre, on peut à minima lui reconnaitre de ne pas ménager ses efforts pour satisfaire son entourage. Qu’il s’agisse de ses enfants (« Spy Kids »), de ses amis (Tatantino avec « Une nuit en enfer »), des fanboys (« Sin City ») ou de son public (« Desperado 2 »), tous ses films sont destinés avant tout à faire plaisir ; la question étant évidemment : peut-on faire du cinéma juste pour faire plaisir ? Et plus généralement, peut-on réguler sa vie sur ce mode de fonctionnement ? Pour avoir déjà accepté tant de projets juste pour faire plaisir et n’en avoir tiré qu’une forme de compromission, je crains que non. Mais Robert Rodriguez possède quelque-chose que n’aurai jamais : un enthousiasme incorruptible qui vernit tous ses films d’une véritable envie.
« Machete » n’échappe pas à la règle : fondé sur l’envie de combler les attentes qu’avaient ironiquement suscité sa fausse bande-annonce ouvrant « Planète Terreur » et mué par le désir noble de réaliser un long-métrage complet rendant hommage au cultissime Danny Trejo (dont les traits carnassiers provoquent toujours un sourire lorsqu’on les croise sans s’y attendre au détour de scènes – cf son rôle de Tortuga dans « Breaking Bad »), il s’agit d’un film généré par son environnement où tout le monde semble le bienvenu. Du coup, adoubé par le sceau Grindhouse et sachant qu’il s’évertuerait à reprendre toutes les scènes de la bande-annonce fictive, « Machete » devait une nouvelle fois transcender la série Z en y injectant une dose de fun absolu tout en évitant de tomber dans la parodie pure et simple (Robert Rodriguez ne rend pas hommage à la série Z, il fait et a toujours fait de la série Z). Résultat : si l’introduction jouissive, sanguinolente et divinement rythmée cloue au siège et répond à toutes les attentes, le film lui se déroule plutôt comme un Desperado 3 où le seul enjeu est de réussir à relier entre elles les scènes déjà tournées pour la fameuse BA.
Perdus dans ce qui pourrait presque être un film choral, perdus entre cabotinages excessifs (Robert De Niro prend le taxi) et sérieux inadapté (Steven Seagal qui ne rigole pas avec l’image du bad guy), les acteurs sont comme le film : abandonnés sur ce carrefour où se croisent bazar permanent, déconne assumée, ambition de réinventer le genre, le tout sur un fond de prise de position sociale, ils ne savent pas quelle direction prendre. « Machete » devient alors un pétard mouillé qui ne contient qu’une succession de petits pétards mouillés : Machete va massacrer des gars avec une débroussailleuse, mais en fait non ; Machete va pulvériser les conservateurs avec une moto-mitraillette, mais en fait non ; Machete va baiser des femmes en brandissant sa machette, mais en fait non ; Machete va mener une révolution, mais en fait non… bref ça ne cesse de se dégonfler.
Et pourtant, Robert Rodriguez réussit néanmoins à emporter une certaine adhésion, non pas grâce à sa réalisation succulemment foireuse (rajouts volontaires de coquilles, gore à l’ancienne, zooms kitchissimes, absence totale de maitrise de l’espace lors de l’attaque finale ; ah non ça il n’aurait pas fait exprès) et à ses hilarantes trouvailles (saut en rappel grâce aux intestins d’un homme de main), mais tout simplement via cette passion et encore une fois cette envie de faire plaisir qui se dégage. Comment ne pas se délecter d’un Cheech Marin armé de deux fusils à pompe ?
S’il manque à « Machete », un Steve Buscemi pour multiplier les dialogues cultes, on se délectera de retrouver le lanceur de couteaux dans cette version mexicaine de Shaft. Si Quentin Tarantino a remis au gout du jour la Blacksploitation, Robert Rodriguez aura lui inventé la Mexicanosploitation.
Note : 6,5/10