La Novia del desierto : un parfum d’acacias
Présenté le 25 mai à Un Certain Regard. Durée : 1h15.
La Nana, El niño pez, Los Dueños : on ne compte plus les films chiliens et/ou argentins se déroulant à l’époque actuelle et dont les héros sont des gens de maison. Probablement parce que, culturellement, les gouvernantes et les valets sont encore très ancrés dans la société sud-américaine. En France, de tels personnages seraient au mieux relégués à l’état de seconds rôles. Il y a pourtant tant de choses à dire et à faire vivre à celles et ceux qui, parce qu’on ne leur laisse généralement guère la parole, finissent par avoir besoin de s’émanciper et de sortir du cadre. Quand ce n’est pas la conjecture qui le leur impose.
Teresa, elle, n’a pas vraiment eu le choix. L’héroïne de La Novia del desierto (La Fiancée du désert, titre au côté fordien tout à fait trompeur) a servi dans la même maison toute sa vie, et se serait bien passée de devoir tout changer à l’âge de 54 ans. Mais elle n’a pas le choix : ses patrons n’ont plus besoin de ses services. Bonne nouvelle : ils lui ont trouvé une place au sein d’une nouvelle famille. Mauvaise nouvelle : c’est à environ 800 kilomètres de là. Teresa soupire, mais il n’est pas question d’hésiter. Le travail, c’est toute sa vie, moins par nécessité de subsister que par soumission inconsciente à des codes à la fois archaïques et terriblement au goût du jour. Son travail, c’est sa vie. Alors Teresa fait ses bagages pour aller traverser l’Argentine en bus.
Croyante, elle en profite pour réaliser quelques étapes d’un pèlerinage qui lui permet de faire quelques rencontres. Une route tranquille et sans détour malgré les déconvenues organisationnelles. Soudain, le périple de Teresa prend un virage inattendu. Entrant dans le camion d’un vendeur itinérant pour y essayer des vêtements, elle y oublie le sac qui contient toute sa vie et ne s’en rend compte qu’une fois le camion reparti. S’ensuit une course-poursuite paniquée suivie d’une rencontre avec le vendeur nommé Gringo. Et c’est un nouveau film qui commence, rappelant fortement Les Acacias, film argentin lauréat de la Caméra d’Or en 2011. Deux personnages solitaires, inconnus l’un pour l’autre, taillaient la route en camion pendant 1500 kilomètres. Comme dans le film de Pablo Giorgelli, La Novia del desierto orchestre la rencontre inattendue de deux personnes qui, arrivées à un stade déjà assez avancé de leur vie, auraient peut-être besoin de construire ensemble.
La suite consiste moins en un début de romance qu’en un bout de chemin taiseux, Teresa et Gringo ne sachant pas vraiment comment faire pour parvenir à se parler. On passe un moment agréable avec eux comme on prendrait le thé avec une vieille dame. C’est confortable, sucré, sans danger. Dommage que La Novia del desierto ne passe jamais vraiment la seconde : sa photographie assez canon aurait mérité que Cecilia Atán et Valeria Pivato (cinéastes néophytes bien qu’habituées aux plateaux de tournage) exploitent dava,ntage le cadre à des fins dramatiques. On sait l’actrice chilienne Paulina Garcia (primée à Berlin pour Gloria) capable de faire des merveilles ; exiger d’elle une prestation aussi minimaliste a quelque chose d’un peu frustrant.
Très court (moins d’une heure et quart), le film se réveille dans ses dix dernières minutes, posant davantage de questions que durant l’heure qui a précédé. Est-il normal d’être prêt à tout pour trouver l’amour ? Est-ce une nécessité absolue lorsqu’on a franchi le cap de la cinquantaine ? La Novia des desierto commence alors à prendre un peu de risques en devenant légèrement plus rugueux. Et apporte à mi-voix des réponses sans doute un peu trop polies. Mais comment en vouloir tout à fait aux deux réalisatrices d’être restées cohérentes jusqu’au bout en respectant la personnalité effacée de leur héroïne, éteinte par une existence consacrée à se mettre au service des autres.
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