Un beau soleil intérieur : la stratégie de l’échec
Présenté le jeudi 18 mai à la Quinzaine des réalisateurs (ouverture). Sortie prévue le 27 septembre 2017. Durée : 1h34.
Claire Denis a fait une comédie. C’est une nouvelle qui peut surprendre, d’autant plus que c’est une comédie “à la manière” de Claire Denis. Il ne faut pas s’attendre à rire à gorge déployée, à moins d’être sensible aux farces cruelles et à l’ironie mordante, où le tragique confine au burlesque.
Isabelle est une femme perdue. Elle a pourtant tout pour elle. Belle, talentueuse, vive, intelligente, curieuse du monde et des gens, elle ne rêve que de ce qu’elle n’a pas : l’amour. Elle traîne son désir d’absolu, de romances avortées en bluettes désordonnées, d’histoires masochistes en espoirs déçus. D’homme en homme, elle papillonne. Elle n’aimera pas ceux qui l’aiment, et inversement. Il arrivera aussi que le couple soit séparé par la force des choses, ou bien par les prétendus bons conseils de son cercle d’amis. C’est une quête désespérée et désespérante, parfait exemple de l’échec annoncé. Quand un homme de plus lui promet enfin le beau soleil intérieur, c’est en des termes flous. Un jour, peut-être. Jamais, sûrement.
On rit donc. D’Isabelle et de ses prétentions irréalisables, symptômes de notre époque (on ne veut toujours que ce qui est inatteignable). Du banquier (Xavier Beauvois) dont les saillies glacent le sang (« je vais te dire une chose, ça ne va pas te faire plaisir, mais je vais te le dire quand même : ce sont les domestiques qui pleurent. Les singes aussi, parfois »). Celui qui demande des olives sans gluten, maltraite le barman et traîne ses airs suffisant, des bras de sa femme à ceux de ses conquêtes, avec le bout de son ventre qui tend ses chemises de banquier, est une blague à lui tout seul. Son portrait cruel fait rire jaune. Il révolte, il réveille. De lui, on ricane. Comme Isabelle qui ne jouit que parce qu’elle se dit intérieurement que c’est un salaud.
D’autres suivront. L’acteur qui ne sait plus où il en est et ne supporte pas d’être éconduit. Le voisin (toujours incroyable Philippe Katerine) qui fait une cour désuète et délicieuse, mais impossible à accepter de par son étrangeté. L’ex-mari qui agace parce qu’on le connaît trop. L’homme qui embrasse parce qu’on lui touche la main, « mais rien de plus ». Et puis celui d’un autre milieu, le RMIste sans études, exotique, érotique. Isabelle a l’embarras du choix, mais ne se décide pas. Son échec, cependant, lui ouvre les yeux sur la vacuité des autres, les artistes, galeristes, collectionneurs qui composent son entourage et qui s’extasient de la nature comme seuls les parisiens peuvent le faire (« Je me demande si les paysans du 17ème siècle appréciaient ce paysage comme nous »).
C’est absurde, c’est doux, c’est un peu vide aussi. Claire Denis réussit le pari de la comédie à son image, clivante donc. Son générique en forme de dialogue d’un vide abyssal n’est un bijou que parce qu’il creuse toujours plus profond. Le regard avide et passionné de Juliette Binoche pendue aux phrases creuses et bancales de Gérard Depardieu est d’une beauté tragique. Il n’y avait qu’elle pour faire vivre de son intensité un vide aussi triste. Tout le film, on a été à ses côtés contre le reste du monde : les hommes qui n’en valent pas la peine et ceux qu’on a raté. Finalement, par ce dialogue, le film se clôt sur un constat plus ironique encore : Isabelle se complaît dans cet échec. Elle en est l’actrice, aussi absurde que les autres, avec en plus, la prétention de valoir et vouloir plus. Finalement on rit, l’espoir au ventre d’être loin, le plus loin possible de ces caricatures. On rit, pour ne pas en pleurer.
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