Le Redoutable : les révolutions de Jean-Luc Godard
Présenté le 21 mai 2017 en sélection officielle (compétition). Durée : 1h47. Sortie le 13 septembre 2017.
En prenant Jean-Luc Godard pour héros de son nouveau long métrage, Michel Hazanavicius semblait avoir trouvé un sujet idéal pour continuer, dans la lignée de La Classe Américaine ou de The Artist, à parcourir les coulisses de l’histoire du cinéma à coups de bricolages ludiques. De fait, Le Redoutable commence en 1967 (alors que JLG vient de finir le tournage de La Chinoise) et s’en donne à cœur joie dans les clins d’oeil cinéphiliques d’époque (il va voir Le Bon, la Brute et le Truand au cinéma) et les reproductions des inventions visuelles godardiennes : Hazanavicius use ainsi régulièrement d’effets de montage ou de décalages entre le dialogue et l’image qui proposent une légèreté distanciée faisant ressembler le film à une suite de sketches qui transforment Jean-Luc Godard en héros de comédie populaire.
Adapté du livre Un an après d’Anne Wiazemsky (petite-fille de François Mauriac et actrice qui fut pendant trois ans l’épouse du cinéaste phare de la Nouvelle Vague), Le Redoutable est cependant loin de porter un regard hagiographique sur son sujet, prenant un malin plaisir à explorer la crise personnelle et créative que traverse Godard à l’approche de mai 1968. Devenu maoïste et désireux de combattre le système dominant (celui de l’art bourgeois, des impérialismes et de la vulgarité publicitaire) au point de renier ses films précédents et de vouloir révolutionner son propre cinéma, le personnage est pris dans des contradictions parfois intenables qui le rendent parfaitement antipathique auprès de son entourage et de son épouse.
Le profond trouble qu’exerce sur Jean-Luc Godard la question révolutionnaire devient alors le véritable cœur du film : génie du septième art voyant avec les événements de 1968 une occasion de faire table rase du passé, ce héros décontenancé par les mutations du monde n’est pas si éloigné des précédentes figures du cinéma d’Hazanavicius. Si le OSS 117 de Rio ne répond plus était totalement dépassé par les nouvelles mœurs des années 60 et pronostiquait à tort que « 1968 ne sera pas l’année de la jeunesse », le Jean-Luc Godard du Redoutable est lui tellement effrayé à l’idée de passer à côté de la révolution qu’il se met à douter de l’utilité des images qu’il a inventées et en vient à se haïr lui-même.
Entre tonalité sarcastique et douce affection pour le parcours de JLG, le film transcende sa simplicité (voire sa paresse) scénaristique en insistant sur le positionnement ambigu de son héros face à la notion de révolution : une séquence où Godard prend la parole à la Sorbonne est ainsi entrecoupée d’insertions rappelant la définition du dictionnaire selon laquelle le mot « révolution » désigne aussi le mouvement sur soi-même que fait un objet pour revenir à son point de départ. Sans juger démesurément son personnage, Hazanavicius paraît dans la dernière partie vouloir se rapprocher au plus près des névroses qui habitaient le cinéaste durant cette délicate phase de transition intérieure.
Traversée dès l’ouverture par une mélancolie qu’une tonalité parodique tente ensuite longtemps de gommer, Le Redoutable sait faire écho aux contradictions de son héros et affirme au final avec détermination que l’échec de la révolution de 1968 est indissociable de l’échec de l’amour. Car c’est bien cette vision de deux amants incapables de s’entendre et de partager les mêmes vues qui retient au final l’attention – aidée par les performances appliquées de Louis Garrel et de Stacy Martin. Exagérant peut-être la solitude et l’autisme de son héros à force de l’enfermer dans de petites vignettes comiques, Hazanavicius semble pourtant séduit et en empathie avec son personnage lorsque ce dernier doit au bout du compte renoncer à ses idéaux et ses sentiments. Moins moqueur du jeune Jean-Luc Godard qu’on a bien voulu le dire, Michel Hazanavicius a, en réalisant son premier biopic officiel, peut-être signé là son film le plus romantique.
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