Makala : le fardeau d’une vie
Récompensé par le Grand Prix de la Semaine de la Critique (présenté le 24 mai). Durée : 1h36.
Tant pis si l’expression semble ringarde en raison de son utilisation généralement galvaudée, mais Makala est une incroyable leçon de vie. Le genre de film qui, sans jouer sur la corde de la culpabilisation, vous pousse à reconsidérer vos privilèges et à comprendre à quel point votre vie est facile. Une oeuvre bouleversante parce qu’elle mêle une infinie modestie à son admirable ambition cinématographique. Et la confirmation d’un documentariste qui s’affranchit de toute notion de frontière entre ce qui est filmable et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est un sujet de cinéma et ce qui ne l’est pas. Le premier film d’Emmanuel Gras s’appelait Bovines : une heure et demie de vaches dans un pré, sans voix off, pour mieux nous faire comprendre que ces animaux ont une conscience et des sentiments. Pas simple, mais sacrément osé. Makala va vers quelque chose de complètement différent, mais participe également à cette idée selon laquelle ces êtres vivants trop souvent boudés par les caméras ont pourtant tellement de choses à nous apprendre. Sur le monde et sur nous-mêmes.
Makala suit Kabwita, un jeune villageois congolais. En ouverture du film, Emmanuel Gras le suit, le filmant de dos tandis qu’il avance dans la brousse. Déjà, par la force du cadre, quelque chose se produit. Malgré le décor accidenté, le cadre est stable, presque serein, annonciateur de la sagesse déterminée de son héros. Pas de shaky cam à la Dardenne, pas de démonstration à la Van Sant (cinéastes éminemment respectables mais jamais singés ici). Le jeune homme a un plan. Un grand projet pour sa famille. Il ambitionne de trouver un très grand arbre, de le débiter en petits morceaux et de fabriquer du charbon de bois, qu’il pourra vendre à un très bon prix afin de faire subsister sa famille. Et c’est ce qu’il fait. Patiemment mais avec ardeur. Le réalisateur le suit de près, fixant régulièrement sa caméra dans le regard si déterminé de ce jeune homme pour qui il n’y a aucun doute : il a trouvé la méthode pour trouver le bonheur avec les siens.
Lorsqu’il cesse enfin de travailler, c’est pour se reposer brièvement (tendre scène pendant laquelle son épouse lui retire des échardes des pieds en lui reprochant d’être trop douillet), mais surtout pour échafauder la suite de son projet. Ambition à long terme : construire sa maison de ses mains et constituer un jardin susceptible de nourrir les siens en grande partie. Ambition à court terme : terminer la fabrication de ce charbon de bois, ficeler tout cela de façon méthodique sur sa bicyclette, et prendre la grande route pour aller vendre sa production à la ville. Sans aucun effet de style superflu, Emmanuel Gras fait monter l’adrénaline à un niveau insensé, comme dans ces polars où le personnage principal prévoit un dernier gros coup avant de se mettre à l’abri. Tragique et haletant de part en part : Makala, c’est un peu du James Gray première époque.
On suivra le jeune homme jusqu’au bout de son périple. La rencontre terrifiante avec des policiers qu’il faudra corrompre sans leur donner envie de confisquer son chargement, les négociations pour tirer autant d’argent que prévu de cette petite mais si immense entreprise. À la fin, Kabwita se rend dans un lieu de prière pour communier. La séquence déborde d’émotion. Notre héros aussi. Il mesure le chemin parcouru et celui qu’il lui reste à parcourir. Il remercie la vie de lui avoir donné la force et le courage d’en arriver jusque là. On remercie la vie de l’avoir mis sur notre chemin avec cette démonstration jamais démonstrative d’humilité et de tenacité, qui a le bon goût d’ériger le travail en condition de la survie du héros et de sa famille, mais jamais en valeur absolue qui suffit à remplir nos existences.
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