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Les Proies : vierges effarouchées

Présenté le mercredi 24 mai 2017 en sélection officielle (compétition). Durée : 1h31. Sortie le 23 août 2017.

Par Damien Leblanc, le 28-05-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2017' composée de 22 articles. En mai 2017, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu’aux allées de l’ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

On perçoit assez clairement ce qui a intéressé Sofia Coppola dans ce projet de remake des Proies (film de Don Siegel sorti en 1971 et lui-même adapté d’un roman de Thomas P. Cullinan) : se déroulant pendant la Guerre de Sécession au sein d’un pensionnat de jeunes filles du Sud, où une communauté exclusivement féminine – ici les cinq pensionnaires accompagnées de la directrice Nicole Kidman et de la professeure Kirsten Dunst – vit paisiblement jusqu’à l’arrivée dans les lieux d’un soldat nordiste blessé, le récit évoque une transposition directe de l’atmosphère de Virgin Suicides dans l’Amérique de 1864. De nombreux échos au premier long métrage de la cinéaste se manifestent ainsi rapidement ; ce décor de prison dorée, où des héroïnes corsetées par l’ordre moral éprouvent soudain trouble et attraction pour un corps masculin, permet ainsi à Sofia Coppola de transformer des coeurs solitaires en figures éthérées qui semblent habiter un espace atemporel.

Si la structure du scénario ne diverge pas drastiquement, Sofia Coppola adopte ici davantage le point de vue des femmes

La réalisatrice de Lost In Translation et Marie-Antoinette impose vite sa patte onirique et décide par la même occasion de renverser quelque peu le propos du film original. Si la structure du scénario ne diverge pas drastiquement, Sofia Coppola adopte ici davantage le point de vue des femmes, tout autant responsables du déclenchement progressif de tensions sexuelles que ne l’est le comportement du soldat. Incarné par Colin Farrell, qui livre une partition volontairement plus effacée que celle de Clint Eastwood chez Don Siegel, le personnage masculin contrôle ainsi nettement moins qu’il ne le pense les désirs féminins qui s’animent autour de lui. L’apparent calme de cette guerre des sexes est aussi dû en partie à la retenue et à la pudeur dont fait preuve la mise en scène de Sofia Coppola. Les fragments les plus scabreux de ce jeu de séduction généralisé s’incarnent ainsi davantage dans une poignée de dialogues à l’humour assumé (il est demandé au soldat, lors d’un dîner plein d’allusions salaces, s’il aime « la tarte aux pommes ») que dans d’éventuelles images vénéneuses ou charnelles.

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Le style de la réalisatrice agit ici comme un cache-sexe

Il aura donc paradoxalement fallu passer par un remake pour que l’essence du cinéma de Sofia Coppola se précise plus que jamais et apparaisse dans la lumière. Car cette nouvelle version des Proies perd autant en cruauté et en aridité sexuelle qu’elle ne gagne en douceur chimérique et en défiance généralisée vis-à-vis des tentations du monde extérieur. On notera par exemple que les agissements d’une jeune pensionnaire ne sont plus ici motivés par la colère d’avoir vu une tortue se faire écrabouiller, mais découlent plutôt d’un immuable ressentiment envers un désir qui pourrait menacer le bien-être et la paix de la gynécée. On serait tenté de dire que le style de la réalisatrice agit ici comme un cache-sexe, qui préfère filmer intérieurs soyeux et soleil qui perce dans les branches d’arbre plutôt que de se livrer corps et âme à une imagerie érotique. Cette œuvre-là traite donc du bouleversement engendré par les pulsions du désir, mais préfère dissimuler le passage à l’acte sexuel pour tenter de détourner le regard et de le sublimer.

Au bout de ces stratégies de métaphores et de détournements, l’image la plus matricielle de la filmographie de Sofia Coppola ne se cache pourtant pas le moins du monde et s’offre aux yeux du spectateur. Filmant à nouveau dans les derniers instants l’ambiguïté d’une maison qui se présente autant comme un bagne aliénant que comme une bulle qui protège et abrite, la cinéaste reste fidèle, malgré les quelques mollesses de ce remake, à son idée cinématographique la plus obsédante : l’enfermement – qui est aussi celui de la réalisatrice dans le nom de son père et dans l’esthétique de Virgin Suicides qui l’a portée si haut – qu’il paraît dur pour elle d’en changer – s’impose comme le motif auquel Sofia Coppola semble destinée et comme le sujet autour duquel elle est condamnée à graviter sans cesse, à la manière d’une éternel de supplice de Tantale cinématographique, séduisant et entêtant.

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