Avant la fin de l’été : la France, tu l’aimes ou tu la quittes ?
Sorti le 12 juillet 2017. Durée : 1h20.
On se sait pas tout à fait ce qui, dans le premier film de Maryam Goormaghtigh, relève du documentaire ou tient plutôt de la fiction. Et à vrai dire, on n’est jamais loin de s’en foutre. Avant la fin de l’été est traversé par une sincérité qu’il semble absolument impossible de remettre en cause, celle d’une cinéaste refusant toute forme de filouterie. C’est un film joliment premier degré, dans le sens où le cynisme et le mauvais esprit semblent n’y attirer personne : ni la réalisatrice, ni ses trois protagonistes. Ces derniers peuvent faire preuve de muflerie ou se montrer légèrement médiocres, mais c’est toujours par paresse ou par maladresse, pas par manque de respect ou par désir de nuire.
Si au final il n’en est rien, l’argument du film de Goormaghtigh pourrait être celui d’un téléfilm France 3 Régions : parce qu’il a le sentiment de ne pas s’être intégré après cinq années passées en France, un jeune Iranien décide de rentrer au pays. Avant cela, ses deux amis et compatriotes vont l’emmener faire une virée à travers l’hexagone afin de tenter de lui faire changer d’avis. Cela commence effectivement comme un road movie lambda ou presque, la fraîcheur des échanges et la complicité des trois protagonistes rendant le film immédiatement prenant. Leur premier arrêt dans une fête de village est un délice : la réalisatrice parvient à la fois à y filmer la différence des cultures (même si Arash, Hossein et Ashkan sont loin de découvrir de quoi la France est faite) et à rendre palpable la viabilité du fameux “vivre ensemble”, expression qui a certes perdu de sa superbe à force d’être utilisée de façon abusive.
Mais les doutes d’Arash sont plus profonds que cela, et il ne suffit pas d’une belle soirée au clair de lune pour le faire changer d’avis. Le jeune homme confie ses doutes, sa solitude, sa difficulté à lier connaissance (et donc amitié) avec les Français et Françaises de son âge. S’engage alors un poignant dialogue de sourds dans lequel ses amis lui expliquent que les choses sont plus simples que ce qu’il croit. Qu’il suffit d’engager la conversation pour parvenir à s’intégrer. Sans jamais appuyer le trait, Maryam Goormaghtigh laisse pourtant la vérité flotter au-dessus de ses héros, même s’ils ne se l’avouent pas. On a beau être iranien, lorsqu’on est joli garçon et plutôt cultivé, peut-être est-il relativement simple de se fondre dans le moule et de s’intégrer dans le modèle français. Mais voilà : Arash est obèse, visiblement mal dans sa peau, et beaucoup moins disert que ses deux camarades. Et c’est sans doute là que le bât blesse. Parce qu’on ne lui a sans doute pas assez tendu la main, Arash n’est pas parvenu à franchir la barrière. Terrible constat d’échec.
Mélancolique, le film témoigne cependant d’un bel esprit de solidarité, à travers les efforts fournis par Ashkan et Hossein pour tenter de l’aider in extremis à se sentir chez lui. La suite du film fait davantage dans la contemplation presque passive : devant toutes sortes de paysages ou de groupes de personnes, nos trois personnages s’arrêtent, s’asseoient, prennent le temps d’observer et en tirent parfois des conclusions poétiques ou concrètes. Souvent, Avant la fin de l’été fait s’emballer le cœur en atteignant sur un rythme aléatoire des sommets de drôlerie ou d’amicale tendresse. Et parce qu’il n’y a rien de plus beau que les longues routes sans but, le film finit par devenir de plus en plus lunaire, à l’image de personnages dont on a bien compris depuis le début qu’ils n’avaient pas toujours les pieds sur terre.
L’image est belle, a fortiori pour un film aussi fauché ; ce qui sidère surtout, c’est que plus les bobines défilent, plus Avant la fin de l’été parvient à se débarrasser de sa carapace de road movie en terre française. D’étendues pseudo-désertiques en régions peu reconnaissables, c’est comme si la France et l’Iran finissaient par fusionner. Un effet de surimpression qui donne corps à la fois aux incertitudes d’Arash et à la consolidation de la désormais double identité irano-française de ses deux compagnons de voyage. Cavalier, Depardon, Queneau : Maryam Goormaghtigh emprunte de façon plus ou moins consciente à ces esthètes à la fois très français (par leur amour de notre territoire mais aussi de ceux et celles qui y gravitent) et tout à fait universels par la façon dont ils font jaillir la poésie à chaque coin de rue.
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